CONTRIBUTION
La communauté sèrère face à la Commission nationale chargée de la rédaction de l’histoire du Sénégal
Par Mahawa Sémou Diouf membre du Comité des Sages du Sine (à Mbour)
Le Quotidien 18 septembre 2019 https://lequotidien.sn/la-communaute-serere-face-a-la-commission-nationale-chargee-de-la-redaction-de-lhistoire-du-senegal/
Extraits résumés et annotés par biblioserere.com (passages en italiques) et illustration des commentaires.
Véritable coup de massue sur la communauté sérère ! Simplement trois pages (627-640 et 641 du volume 1/A du tome 3) pour enterrer à jamais un vaillant peuple, fondement, pilier, et socle de la Nation sénégalaise.
……………………………………………………………………………………................................
Quel mépris affiché pour la communauté sérère, dont les fils ont balisé la voie du Sénégal vers l’indépendance : Léopold Sédar Senghor, le lion de Joal, et Valdiodio Ndiaye, preux Guelewar sans peur[1].
Maitre Valdiodio Ndiaye
l’Homme de la Place Protet, face au Général De Gaulle
Disons-le tout haut. De Fandène à Joal-Fadiouth, de Diamniado à Diakhao, Kahone, Paoscoto, Paos-Ndimb (dans le Saloum) … nous sommes déçus et ulcérés. Quelles belles pages d’histoire des républiques sérères[2], des lamanes et des guelewars du Sine et du Saloum, enterrées[3] !
Deux faits d’arme parmi d’autres rien que pour le Sine :
Le 13 mai 1859 à Djilasse (près de Joal) vit la victoire éclatante de l’armée du Sine sur la colonne française. D’après une tradition orale, les Sèrères auraient fait circoncire les prisonniers français (Babacar Sedikh Diouf). Ce détail ne figure évidemment pas dans les documents de la Colonie. Mais ce qui rend plausible l’information, c’est que l’armée sèrère était commandée par le futur roi Sann’Mone Faye, un souverain bien connu pour ses méthodes provocatrices. Devenu roi (1871 1878), il aurait coupé les oreilles d’autres hommes blancs, avant de les chasser hors du pays.
Suite à la double humiliation de Djilasse - défaite (et circoncision ?) le ministre français de la Marine donne des instructions fermes pour un règlement sans délai de l’épineuse question du Sine. Le 17 mai 1859, les deux armées sont de nouveau face à face à la bataille de Fatick, précisément à Logandème. Pour une première, Faidherbe est présent sur un champ de bataille. Pour une première également, un canon est tiré à partir du bateau « Le Podor » sur la rive du Sine (ANS-G10 pièce 180-1859). Certes le canon eut le dessus sur ce qu’un historien appelle « la bravoure un peu folle » des thiédos et des guelwars[4]. Mais Faidherbe ne put s’empêcher de reconnaitre devant Pinet Laprade : « Ces gens-là, on les tue, mais on ne les déshonore pas»[5]. Propos repris par Léopold Sédar Senghor dans un de ses poèmes, avant d’en faire la devise de l’Armée nationale[6].
…………………………………………………………………………………….
Faits d’armes, mais aussi terre d’hospitalité. La communauté sérère notamment le Sine, a toujours été une terre d’accueil pour les uns et terre d’asile pour Damels et Teignes déchus…………………………………………………………………...............................................................................................
Trois exemples emblématiques parmi d’autres :
-15e siècle : Mbègane Ndour le conquérant Guelwar fondateur du Saloum accueille l’aristocratie du Djolof devenue depuis lors prépondérante dans ce pays. Aujourd’hui, peu d’habitants de cette région connaissent Mbégane Ndour ou Saloum Souaré, les deux fondateurs de l’ancien royaume.
-1859 : L’Almamy El Hadj Omar Foutiyou Tall, en guerre sainte pour l’instauration d’un Etat islamique, rencontre l’opposition des chefs musulmans du Fouta Toro qui font appel aux Français. Lors de sa tournée de sensibilisation dans
El Hadj Omar Tall Foutiyou (l’image n’est pas authentifiée)
le reste du pays, il reçoit au Sine un accueil triomphal digne de son statut de chef supérieur de la Tarikha Tidjan en Afrique de l’Ouest (mais surtout, peut-être, en sa qualité de Toucouleur parent des Sèrères (?)
-12 janvier 1864, le jeune Lat Dior Ngoné Latyr Diop à peine 20 ans est défait à Loro par son compétiteur Madiodio Deguène Fall. Il demande asile auprès de Coumba Ndoffène Famack Diouf. On l’installe avec sa suite à Ndiob auprès du futur roi Sémou Mack Diouf. Il y demeurera deux mois et huit jours avant d’aller à Nioro du Rip rejoindre Maba Diakhou Ba.
Peinture de Lat Dior Diop Roi du Cayor et son coursier Malaw (google)
-Autre fait mémorable, le 7 Juin 1903, Bour Sine Coumba Ndoffène Fa Ndeb (Junior) Diouf plaide (à Saint Louis) la cause du vénéré Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké devant l’occupant. Le marabout avait été dénoncé par les chefs supérieurs wolofs sous l’accusation de chercher à remplacer ces dignitaires et à fonder un pouvoir temporel. Devant le conseil colonial présidé par le gouverneur Merlin, étaient présents, les chefs supérieurs qui voulaient la liquidation physique du saint homme : Brack du Walo, Sa Ndiambour, Bourba Djoloff, Baye Mbayar, Bour Nianing et Bour Saloum occidental.
Absents, le Damel Samba Laobé Fall du Cayor et Teigne Tanor Ngoné du Baol qui eux avaient fait allégeance au Cheikh.
Mettant en gage son manteau royal pour la défense de la vérité, Bour Sine Coumba Ndoffène Fa Ndeb Diouf demanda au gouverneur Merlin d’envoyer un contingent de la colonne française pour perquisitionner la demeure de Darou Marnane où il ne trouvera que le Saint Coran et des objets pour la prière[7].
Les conclusions du rapport du 14 juin 1903 du contingent confirmèrent le témoignage du roi, libérant ainsi les parents, talibés et proches du Cheikh qui attendaient dans l’angoisse, les résultats de l’enquête. Aujourd’hui, le rappel de ce haut fait (commémoré chaque année par les deux familles du Marabout et du Bour Sine) irrite certains chroniqueurs, communicateurs, journalistes et même biographes du Saint Homme. Ils s’emploient en toute occasion, avec acharnement, à l’ensevelir à tout prix. Deux anecdotes illustrent cet acharnement.
La photographie ci-dessous sert parfois à illustrer la victoire éclatante de Maba sur les Français à la cèlèbre bataille de Pathé Badiane le 30 décembre 1865. Il s’agit en réalité d’une carte postale de l’époque coloniale intitulée « Arrivée d’un marabout ». Le personnage est à cheval, suivi de ses disciples à pied. Pour dévaluer voire insulter le même roi sèrère, l’image a été falsifiée vers 2009 sous forme « d’infox -intox» avant la lettre : Sur l’un des disciples qui marche pieds nus, on a collé une feuille blanche avec la mention : « Boursine Coumba Ndoffène ». La photo a circulé sur les réseaux sociaux de l’époque. Elle a également été reproduite en grand nombre et distribuée.
Carte postale ancienne « arrivée d’un marabout »
La même année, lors d’une émission télévisée pour enfants, un gamin d’une dizaine d’annés demanda à un très grand communicateur traditionnel : » qui était Coumba Ndoffène Diouf ? ». Réponse : « C’était un ami de Lamine Guèye ». Certes Guèye premier Docteur en Droit en Afrique noire, brillant avocat et Président de l’Assemblée nationale est sans conteste l’un des piliers fondateurs de la nation. En sa qualité de Maire de Dakar, il octroya des bourses d’études à une cohorte de jeunes sénégalais que les colons ne voulaient pas voir partir en France poursuivre des études supérieures. Parmi les bénéficiaires, il y avait un futur avocat, un certain Khar Ndoffène Diouf. Il y avait aussi parmi eux, Birago Diop qui donne l’information (La plume raboutée). La réponse malicieuse du communicateur n’est certes pas fausse, mais ce n’est pas ce que voulait savoir le bambin...
Maitre Lamine Guèye
a contribué à la formation des premières ressources humaines du pays.
C’est aussi une forme de résistance et de combat anticolonial.
C’est le lieu de rendre un vibrant hommage au Colonel des Douanes Mahécor Diouf président du Comité pour la célébration annuelle du témoignage de Bour Sine Coumba Ndoffene Diouf junior en faveur de Cheikh Ahmadou Bamba devant le Conseil colonial. Il vient de nous quitter le 6 décembre 2021. Il a été enterré à Diakhao la capitale.
Mahécor Diouf,
Colonel des douanes
En conclusion Mahawa Semou Diouf l’auteur de l’article écrit : Comme recommandation : nous souhaitons de la Commission nationale, la reprise des travaux sur l’espace sèrère en associant des compétences avérées du terroir.
A défaut, et parce qu’il s’agit d’un mépris manifeste, nous devons, toutes composantes sèrères confondues, unir nos énergies pour écrire notre propre histoire.
Notes:
[1] Il aurait pu commencer par les précurseurs Blaise Diagne et Ngalandou Diouf, et ajouter le Président Abdou Diouf, tous (de pères) sèrères, sans oublier le président Dia de mère sèrère ni le président Macky Sall Toucouleur « demi sèrère » né au Sine.
[2] Enclaves autonomes appelées républiques sèrères
[3] Sacrifiées par les promoteurs du « modèle islamo wolof », sous le couvert d’une histoire dite générale du Sénégal financée sur les fonds publics de l’ensemble du pays.
[4] Yves Saint Martin p 526
[5] Voir aussi l’article de Mahawa Sémou Diouf in l’Observateur n° 3781 du 30 avril -1e mai 2016 p15.
[6] Dans toute l’histoire du Sénégal connue, trois formations politiques seulement sont formellement estampillées « dynasties guerrières »: les Ton-jongs sèrères ou Jam-baar au Tekrour (Fouta) 13e siècle ( ?), les Nianthios manding du Gabou en Sénégambie méridionale également au 13e siècle, et les Guelwar sèrères mandings au Sine et au Saloum au 14e siècle. Mais au Musée de l’Armée, on ne trouve aucune mention de ces dynasties, alors même que le nom des soldats sénégalais surnommés Jambars et sa devise sont tous deux tirés de l’histoire des Sèrères.
[7] D’après une tradition orale, avant l’arrivée du contingent français pour la perquisition, le roi aurait envoyé des éléments de sa garde postés autour de la résidence du marabout pour empêcher l’introduction frauduleuse d’armes susceptibles de le compromettre.







