Wër sëk
Chance, grâce, bénédiction (Cheikh Anta Diop 1962 : Unité culturelle). En wolof,le mot se décompose en wër : faire le tour et sëk : sépulture. Littéralement, c’est tourner autour d’une sépulture en signe d’adoration pour obtenir un bienfait. Se prononce improprement wassik en sèrère.
Wal’ Khann Thiaré (Waal Xaan Caare) de Bikol en pays sèrère (Fatick) était, de son vivant, un faiseur de pluie. Il avait déclaré : « quand je serai mort, si vous n’avez pas de pluie, tournez autour de ma tombe (wër sëk), il pleuvra (Gravrand 1990 Pangol NEA p 331).
Egalement, dans un vieux hameau situé aux environs de Guéoul, dans la région de Louga en pays wolof se trouve la tombe d’un ancêtre au pied d’un baobab tricentenaire du nom de Gouye Birame Coumba. Il aurait des vertus thérapeutiques. Au dire des habitants, « quand nous tombons malades il suffit de faire trois fois le tour du baobab et qu’ensuite on se lave avec du sable recueilli sur les racines, pour retrouver (la santé) ». Le creux du baobab est le refuge d’un gros serpent qui est le totem de la famille de Biram Coumba (Abdou Mbodj in l’Observateur n° 2994 12 Septembre 2013 page 10)
Autrefois également, la cérémonie du couronnement du nouveau Brack dans l’ancien royaume du Walo, berceau du peuple wolof jadis situé à l’embouchure du fleuve Sénégal comportait un rituel similaire. Il devait, entre autres, faire trois fois le tour du Baobab totem dit « Ndeyou Brack » (Mère de Brack), étant porté sur le dos par un homme du matriclan gaker. La cérémonie avait lieu à Ndiourbel (Amadou Bakhaw Diaw Historien traditionnaliste du Walo. L’ancien cérémonial d’intronisation du brack du Walo. diaogo. nilsen@gmail.fr) L’étymologie sèrère de Ndiourbel indique qu’il s’agit d’un lieu de libations et de bains rituels au niveau du fleuve
Le sens premier du mot wërsëk en wolof est donc lié à la religion traditionnelle. Il désigne un vieux culte des morts ou culte des ancêtres dont l’origine pourrait remonter à l’aube de l’humanité. Il avait une fonction gratifiante. Aujourd’hui, le sens initial du rituel est oublié. Le terme ne désigne plus que la chance au sens ordinaire de bienfait ou de bonne fortune due au hasard. Mais même si le rituel n’est plus exécuté, le sens premier demeure toujours en toile de fond dans les croyances populaires de Sénégambie qui lient la réussite d’une personne à la chance intrinsèque provenant de sa mère. Cela explique le véritable culte que l’on voue à la mère en Afrique.
A cette croyance découlant du wër sëk est venue se greffer la notion de baraka apparue avec l’islam et le patriarcat. Ils ont un sens voisin. Mais le premier est en langue maternelle, le second en arabe. Dans un nouveau contexte wolof de domination patriarcale, le sens initial de chance attachée au culte de la mère a été manipulé et récupéré progressivement par le père. Au culte traditionnel dédié à la mère (tourner autour de sa tombe) s’est substituée une nouvelle croyance : il est maintenant admis que c’est la souffrance ou la patience endurée par la mère dans son foyer ou simplement son comportement exemplaire à l’égard de son mari qui est convertible en bénédiction pour sa progéniture. L’on est ainsi passé du culte de la mère par l’enfant, dans une société matriarcale ou « le père n’est qu’un semeur distrait » (Hampaté Bâ) à la quasi-adoration du père par la mère dans une société phallocrate. Avec la prévalence plus marquée de l’islam le marabout (guide religieux) a récupéré à son tour la capacité de bénir, sans doute parce qu’il sait mieux parler à Dieu. Le wolof islamisé jure plus souvent par la baraka de son serigne.
Chez les Sèrères devenus bilinéaires, l’on on ne se résout toujours pas à écarter totalement la mère. Ils distinguent maintenant la baraka d’origine paternelle du wër sëk provenant de la mère. Ils invoquent ensemble le barké faap et le wassik yaay dans cet ordre. L’on dit parfois que le sèrère à trois familles : celle de sa mère, celle de son père et celle de la mère de son père (Dupire).
Outre le wërsëk, la notion plus générale de bonne fortune ou de gratification provenant de la divinité, de la providence ou du hasard porte plusieurs dénominations en wolof et sèrère, avec des sens plus ou moins différents : wassik, barké, muud, kheewël (xeewël) et khos (xos). Quel que soit l’un ou l’autre sens des mots, on ne peut s’empêcher de penser à la définition de Jean Cocteau pour qui le hasard c’est « la forme que prend Dieu pour voyager incognito » (J.A. 2708 du 2-8 décembre 2012 p 96).