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JALONS DE L’HISTOIRE DES SERERES : DU SINEGHANA AU SINE WAGANE

La connaissance du passé des sèrères pose de nombreux défis. Bien qu’il occupe une place centrale, le Sine n’est pas tout le pays sèrère, loin s’en faut. Au nombre des priorités doivent figurer la préhistoire et l’archéologie, ainsi que l’histoire des Sèrères et des autres communautés sénégalaises au Sahara et dans l’ancienne Mauritanie avant l’exode. Autres priorités majeures, les « minorités sèrères du Nord-Ouest » parfois appelées Tianqiin, celles de la Petite Côte et du Ndiegem, sans oublier les communautés sèrères du Saloum presque absentes de la « bibliothèque coloniale » et des études sénégalaises. Il y a aussi en Afrique des diasporas sèrères peu connues ou méconnues.

Cette introduction  générale évoque le problème des sources, présente à grands traits des aspects de l’histoire des Sèrères et montre qu’ils sont incontestablement les racines du pays et le centre de gravité de la nation. C’est Sineghana l’ancien royaume sèrère sur le fleuve qui a donné le nom Sénégal et non les Berbères Sanhaja arrivés sur les lieux au 11e siècle (Kandji 2006 ; Iyad Ag Khali in Bakary Sambe 2017 Université de Saint Louis ; Diouf 2019).

 

1. UNE HISTOIRE MECONNUE

 

Une longue pratique des sources et traditions historiques sur le Sénégal montre que l’histoire des Sèrères est l’une des moins connues. Il y a de multiples raisons à cela. Comme toutes les sociétés africaines sud sahariennes, le problème majeur est celui des sources.

1° Sans renier l’importance des traditions orales, elles sont souvent déformées au point que Mansour Bouna Ndiaye le descendant du dernier Bourba Djolof avait refusé d’intégrer les griots dans son Comité sur l’histoire du Djolof (Oumar Ndiaye Leyti 1981). Il existe cependant des oralistes de grande probité comme Kany Samb.

2° Deuxièmement, l’idéologie religieuse est un autre facteur défavorable. Dans l’histoire des sociétés islamisées, la part réservée aux païens est presque toujours manipulée et réduite à la portion congrue. C’est peut-être une forme de jihad, unemanière de les supprimer symboliquement pour « purifier » la société. 3°Troisièmement, à ce travers s’ajoute ici, la persistance du « complexe de Somb » né du désastre du 18 juillet 1867. Il expliquerait la rancœur tenace de certains milieux à l’endroit des Sèrères que des auteurs comme Akouele Abbey ont relevée. Or, comme partout ailleurs en pareille circonstance, il faut bien que ce complexe soit dépassé. Le Président Wade a montré que Français et Allemands, les ennemis d’hier se sont attelés à la construction de l’Europe (A. Wade 1989 Un destin pour l’Afrique  Présence africaine, Paris)

4°Quatrièmement, Cornevin a reproché à des auteurs de la Coloniale de n’avoir perçu l’Afrique noire que  de l'extérieur, c'est-à-dire dans l'optique du contact avec les envahisseurs blancs arabo berbères et européens. P. Masonnen souligne « combien il est dangereux de s’en remettre à ces auteurs  sans se demander d’où viennent ces vérités et aussi pour qui ils écrivaient et pourquoi ». Compte tenu du rôle de Delafosse dans l’accréditation délibérée de l’histoire déformée de certaines communautés du pays, le Lycée Maurice Delafosse qui a survécu à la sénégalisation des noms des institutions de formation devrait être débaptisé. Pour le remplacer, ce ne sont pas les personnages porteurs de symboles qui manquent. On peut citer Kocc Barma Fall, Cheikh Moussa Camara, Saloum Souaré, Thierno Souleymane Baal, Mbegane Ndour, Mgr Hyacinthe Thiandoum etc.

5° Cinquièmement, le passé des différentes communautés vivant sur un même espace est forcément lié. En même temps, il existe au Sénégal un accord tacite qui laisse à chaque communauté la latitude de construire son histoire voire son « roman national » comme elle l’entend. C’est pourquoi il arrive parfois que le récit d’une communauté déforme l’histoire d’une ou plusieurs autres communautés. C’est ce  « vol » ou la « confiscation » de l’histoire qui a permis à  l’Europe d’imposer le récit de son passé au reste du monde[1]. Il est étonnant que cette pratique existe dans le pays de Cheikh Anta Diop qui s’est sacrifié pour replacer l’Egypte en Afrique et l’Afrique dans l’histoire.

6° Sixièmement, certes, toute communauté lésée a un droit de regard, de critique ou de rectification. Mais lorsque différents récits communautaires se contredisent, qui aura le privilège d’arbitrer ? La question se pose parce qu’« il n’est pas rare que des historiens sénégalais universitaires pouvant avoir recours à toutes les sources de documentation, tombent dans le même travers d’ethnocentrisme que les « oralistes » (Diouf 1998 p 60). En principe, l’arbitrage pour chaque point en litige ne pourrait se faire qu’en confrontant les sources. Malheureusement, là aussi, le Sénégal est l’un des rares pays au monde où n’existe pas de bibliothèque nationale. Cette anomalie ne serait-elle un élément d’une stratégie de dissimulation ? On pourrait même nourrir des craintes pour l’intégrité des Archives nationales.

7° Septièmement, les intellectuels sèrères ne se sont pas investis en nombre et à un haut niveau dans l’histoire de leur communauté,  parce que cette histoire telle qu’elle est connue est peu gratifiante.

-Les Sèrères qui ont quitté l’ancienne Mauritanie il y a près d’un millénaire n’en ont gardé aucun souvenir. Tout ce qu’ils en savent leur vient de leurs cousins Toucouleurs et  Peuls qui les accusent d’avoir rejeté l’islam et se vantent même de les avoir assujettis, puis chassés du pays. C’est faux.

-Au Sénégal même, contrairement à un Cada Mosto, les traditions wolofs prétendent que tous les pays sèrères étaient inféodés à l’empire du Djolof. C’est également faux.

-Les deux principaux royaumes sèrères du Sine et du Saloum ont été fondés par des conquérants mandingues (des fuyards ?) venus de la lointaine Guinée Bissau pour les assujettir. En attendant d’en savoir davantage sur les diasporas sèrères en Sénégambie méridionale, ne faudrait-il pas nuancer certains éléments ?

- Aujourd’hui, peu de gens savent que le Baol est un pays sèrère et ses dynasties sèrères sont quasi ignorées, alors que les rois wolofs n’y ont pris le pouvoir qu’au 16e siècle à la suite d’une simple succession d’oncle sèrère à neveu wolof.

-Les minorités sèrères du Tianqiin (Nones, Ndoutes, Safène, Diobass etc.) jouissent d’une image exécrable dans la littérature coloniale et l’historiographie locale. Des auteurs comme Gaffarel (1890) et Becker (1985) disent clairement que ce sont les intermédiaires des navigateurs et les guides des chercheurs européens qui propageaient eux-mêmes cette image négative. En outre, l’histoire de ces régions se limite le plus souvent à l’histoire de la voie ferrée et des escales (I.L. Thiaw)

-Arrive un Gravrand qui décide, on ne sait sur quelle base, que ces minorités ne sont même pas des Sèrères. Il également tenté de diviser les Sèrères de l’intérieur et ceux de la Petite Côte.

- Enfin, beaucoup ignorent l’existence de traces de diasporas sèrères dans les pays voisins et plus loin encore.

C’est pour toutes ces raisons entre autres, que les chercheurs sèrères ne se mobilisent par pour étudier et promouvoir une histoire si peu reluisante parce que falsifiée. Pour paraphraser deux chercheurs sénégalais éminents qui s’expriment sur une problématique analogue, on pourrait dire que « la « confiscation » ou « le vol de l’histoire » des Sèrères est facilité et aggravé par (leur) « incapacité à produire une réflexion scientifique sur leur propre histoire, laissant d’autres dominer (leur) avenir et exercer un monopole sur (leur) conscience (Mohamed Mbodj et Mamadou Diouf : l’historiographie sénégalaise : bilan des pratiques actuelles et perspectives 1983; inédit in Boubacar Barry. Le royaume du Waalo.  Karthala 1985 pp 386  -387.)

Ceux qui s’intéressent malgré tout à l’histoire de la communauté se sont concentrés voire arcboutés presque exclusivement sur le Sine considéré comme « le noyau dur du peuple sèrère ». Mais là  encore, les impératifs de la construction nationale empêchent de s’appesantir sur certains événements historiques majeurs. On songe à la victoire de juillet 1867 près de la mare de Tioutioune dans le Sine, ou la victoire du souverain sèrère Godomaad sur l’émir berbère almoravide Abou Bakr Ibn Omar défait et tué en novembre 1087 au Lac Cayar sur le fleuve Sénégal. Il serait l’ancêtre de Ndiadiane Ndiaye, le fondateur de l’empire du Djolof…Pour certains cette filiation fait débat.

Quoi qu’il en soit, il y a une « demande d’histoire » notamment de la part de la jeunesse. Le droit à une histoire correcte est une exigence. Dans certains cas extrêmes, il peut même devenir un enjeu politique. C’est ce qui oblige des non historiens à s’impliquer. Ils doivent être plus nombreux. Mais surtout, comme toutes les autres communautés du pays, il est temps de former des historiens de haut niveau en plus grand nombre, capables de travailler sur tous les thèmes et segments du passé, de la préhistoire à la prospective afin de contribuer à réécrire une histoire nationale inclusive. Malgré l’absence de Bibliothèque nationale, les sources et documents disponibles et les ressources de l’outil informatique permettent de se mettre à niveau.

 

2 QUELQUES ELEMENTS DE  L’HISTOIRE DES SERERES

 

D’où viennent les Sèrères ? Il y a certes des hypothèses comme celle de Cheikh Anta Diop qui leur donnent une origine égypto nilotique. Il est cependant quasi impossible de trouver des traces probantes de l’ethnonyme dans les sources écrites, avant la fin du néolithique. Peut-être faut-il retenir la formule de Senghor qui dit qu’au Sahara, « Leurs pas se perdent dans les sables de l’histoire » (L.S.S. 1980 p104)

 

2.1 Les populations noires à l’Ouest du Sahara

 

Des sources sur la préhistoire mentionnent dans le désert du Djouf, au centre est de la Mauritanie, des haches en pierre taillée, des débris d’ossements, des pointes de flèches, un crochet en fer à côté de la poterie cassée. Elles signalent aussi des meules dormantes, des pilons et des broyeurs aux dimensions insolites. Il s’agissait certainement  d’un peuple d’agriculteurs (Etude sur le Djouf par le Lieutenant Sevenet de l’Infanterie coloniale (28 pages sans date).

 

 

                          

                                    Carte : Le bassin du Djouf 255.000 km2

 

Malgré les « adaptations » de certaines traditions pular ou soninké, le Djouf en question  et d’autres  de petite dimension n’ont aucun rapport avec le patronyme Diouf ou Ndiouf. Il s’agit ici  d’un toponyme  ou nom géographique  arabe. Outre le Bassin du Djouf sur la carte, les plus connus sont l’ancien Emirat du Djouf intégré à l’Arabie Saoudite et les royaumes sud arabiques du Djouf au Yemen (Mounir Arbach). On se demande évidemment comme des Diouf sèrères auraient pu habiter tous ces noms de lieux.

Au néolithique, la grande majorité des populations de l’Adrar étaient de race noire. A côté s’étaient infiltrés des représentants de la race blanche (Modat).

Le soin qu’ils mettaient à percher leurs demeures dans des endroits inaccessibles font supposer qu’ils avaient tout à craindre de leurs voisins noirs.

Parmi ces derniers, les traditions mentionnent notamment la présence des Sèrères ou de leurs ancêtres à l’ouest de l’Adrar vers l’Inchiri et la côte (idem p378 et 381). La légende a conservé le souvenir des luttes entre les deux populations. D’abord, le nombre a dû jouer en faveur des Noirs (ibidem p 384 385). En supposant qu’il pouvait y avoir un équilibre relatif entre les deux  communautés, l’introduction du chameau venu d’Asie et d’Egypte donna aux Berbères l’avantage de la mobilité (Mbaye Guèye 1989). Leur rayon d’action s’élargit et ils purent pénétrer plus facilement et plus fréquemment dans le désert, razzier leurs voisins et se replier plus rapidement (Labouret 1941). La pression fut irrémédiable et entre le 11e et le 16e siècle, les envahisseurs finirent par repousser définitivement les Noirs au sud (Trimingham p 40).

 

2.2 Le peuplement de la vallée, la résistance et l’exode

 

Dans leur descente, les ancêtres des Sèrères s’étaient dirigés au sud-ouest, jusqu’au niveau de la vallée du fleuve Sénégal. Les travaux de Pr Rokhaya Daba Fall ont mis au jour des vestiges d’un peuplement datant du premier millénaire (?)  Les travaux de Pr Bocoum dans le cadre de l’UNESCO montrent également que la métallurgie était déjà maitrisée bien avant le 11e siècle.

Au 11e siècle, on sait de façon certaine par El Bekri  que ce sont les Sèrères qui peuplaient Sanghana ou Sineghana[2] (carte de Trimingham) et le pays voisin appelé Nyamandir devenu Tekrour  puis Fouta. Comme l’atteste l’onomastique, ils étaient également présents dans l’empire du Ghana alors situé à cheval sur la Mauritanie et le Mali actuels. D’après le Tableau historique de Cheikh Sidya, traduit par P. Marty, "Les pays de la Mauritanie du Sud (Al Guibla) avant l'arrivée des tribus (berbères) Lemtouna, et avant Abou Bakr Ibn Omar, étaient habités par des Noirs, depuis l'Adrar jusqu'au Tagant, jusqu'au rivage de l'océan atlantique, jusqu'à la rive du fleuve d'eau douce (O. Kane 1986 p 75 et 76).

La majorité de ceux habitaient dans la partie occidentale du fleuve jusqu’à l’embouchure (Sanghana ou Sineghana) d’une part et la moyenne vallée d’autre part (Nyamandir et Tekrour ou Fouta) étaient un ensemble indistinct de populations noires dont le fonds était constitué par les « proto sèrères ». Pour Marty et  Levtzion en particulier, c’est ce fonds commun qui se serait différencié progressivement en 3 ou 4 groupes à savoir Sèrères, Lebous-Wolofs (?) Toucouleurs ou Halpulars. Dans les sources arabes, l’ensemble porte le nom de Maghzara, Makhzara ou Maksara. La plupart des auteurs disent que ce terme désignait les  « Sèrères ancestraux » (Delafosse 1912 p57 Carte 8 ; Marty 1919 ;  Cuoq 1975 p16 17 et p203; Idrisi in Cuoq1975 p 127 128 fin note et p. 130 131 134 142 146; Trimingham 1962 p40 et 44 et p 63 ; Tidiane Ndiaye 2006).

 

 

Carte. Sénéghana est l’ancien nom sèrère du Walo au 11e siècle (Delafosse : Carte N° 8 de Sénégal Haut Niger  p 31). Au sud du fleuve se trouvent les Magzara, terme qui signifierait « Sèrères ancestraux »

Quoi qu’il en soit, l’ancienne Mauritanie et la vallée du fleuve constituent l'avant dernière étape de la migration des populations sénégalaises avant la fixation dans leur habitat actuel (Guèye 1989/90). Déjà confrontées à la désertification, à la surpopulation et au fléau de la traite négrière transsaharienne, elles voient arriver au début du 11e siècle, le jihad des Berbères Almoravides avec ses méthodes barbares. Au nombre des acteurs de la résistance figurent le Ghana et le Sineghana. Dans ce dernier pays qui deviendra le Walo, le souverain sèrère Bour Amar Godomaad défait et tue l’émir berbère Abou Bakr ibn Omar en novembre 1087 au Lac Cayar, encore appelé Lac Khourmaak ou Grand Lac ou encore Lac Njerer, situé sur  le fleuve (Wade/Monteil : 1941 et 1964 pp 452-455 ; Document du Centenaire de Nouakchott[3] ; Gravrand : 1983 p 113 à 118 ;  O. Kane 1974 ; Barry 1985 p 43 ; Diouf 1996 ; Diaw 2010 ; Diouf 2019). La version laconique de l’Histoire générale du Sénégal sur cet événement est délibérément fausse et pour cause  (HGS  tome II volume 1 p 25). Les traditions wolofs, sèrères et maures sont quant à elles irréfutables  (Diouf 2021). La mort du chef berbère libère certes le Ghana et ses vassaux de l’étau des envahisseurs, mais l’empire noir finit par s’effondrer.

 

 

Carte 3. Le lac Cayar ou lac Njerer sur le fleuve au 18e siècle (O. Kane 1974). C’est au niveau du lac que le Sèrère Godomaad a défait et blessé à mort en novembre 1087, Abou Bakr Ibn Omar.

Il s’en suit des grands mouvements de populations dans toutes les directions. Des Sèrères, des Sossés et des pasteurs peuls ainsi que d’autres comme les Soninkés, les Mandigues et les Lébous-Wolofs sont parmi les premiers qui traversent le fleuve et s’installent au sud du Sineghana et dans ce qui deviendra le Walo et le Djolof (Trimingham p174). Certains se dirigent vers le centre ouest du Sénégal actuel où ils créent les Etats qui prendront les noms de  Kadyor, Baol, Sine, Saloum, Niani, Ouli etc. D’autres migrants traversent la Gambie et arrivent jusqu’en Guinée Bissau où ils initient ou participent à la création ou au développement des royaumes du Kassa et du Gabou entre autres (Arcin 1911;  Dyao/Gaden 1912; Ngaindé 2009). C’est pourquoi il est impropre de dire sans nuancer que les Sèrères viennent du Fouta. Ils viennent de l’ancienne Mauritanie. Clairement, les fondateurs du Sine tout au moins viennent de Sanghana ou Singhana, situé à l’ouest de l’actuel Fouta. Il semble également évident que les Sèrères de matrilignages wagadou, soos, kagao, diafoun etc., viennent respectivement des royaumes de Wagadou, Sosso, Gao, Diafoun etc.

2.3 Les diasporas sèrères méconnues

Comme les Peuls, les Sossés et les Soninkés, les Sèrères sont également partis dans plusieurs directions. Les sources révèlent des traces d’anciennes populations sèrères dans la boucle du Niger au Mali (Adam Ba Konaré 1977 p 90 Thèse Varsovie ; Mounkaila 1989 ; Diouf 1996 p 50 51; Holtedahl Lisbet 1999 p295 296). Dans le net, on trouve aussi ailleurs en Afrique, des localités et toponymes appelés sérérés  au Tchad, Ouganda, Soudan du Sud etc., ou encore des individus portant le patronyme séréré y compris hors d’Afrique. Par ailleurs, sans qu’on sache s’il y a un lien, des nombreuses études sont consacrées à des déesses et prêtres appelés Cérères en Afrique du Nord (G. Camps 2015 ; Carcopino J.1941). S’agit-il de simples homonymies ou de coïncidences troublantes ou encore d’un mot qui a un sens inconnu? Toute contribution sur la question est bienvenue.

Ces données laissent supposer que la démographie des Sèrères dans l’ancienne Mauritanie était sans commune mesure avec ceux qui se trouvent actuellement  au Sénégal.

 

 

Entrée  de Séréré, chef-lieu de district en Ouganda

https://www.researchgate.net/figure/Map-of-Uganda-highlighting-the-study-area-Serere-and-Soroti-districts-Note-that_fig5_257840223

 

2.4. Les dynasties au Tekrour  devenu Fouta.

 

Plusieurs dynasties ont régné dans les anciens pays situés au niveau de la vallée. A Sanghana pays sèrère, seul Bour Amma Godomaad le tombeur du chef berbère est mentionné par la tradition wolof et sèrère. Au Tekrour/Fouta par contre, les traditions ont retenu les noms d’une dizaine des dynasties. Comme tout ce qui touche au pouvoir, les noms, la composition et la durée de chacune varient considérablement d’une source à l’autre. Pour paraphraser un chercheur, aujourd’hui encore, toute connaissance qu’on en a est provisoire Diouf (1998). En se fondant sur la liste de Kane (1986) lui-même inspiré de celle de Soh, voici à titre indicatif les noms des dynasties accompagnés de commentaires (Diouf 2015 Tonjong)

 

850-1000 Les Diaw ogo. Malgré les prétentions et dénégations contradictoires, l’origine et l’identité de cette famille de métallurgistes sont parfaitement connues. Commentaires : La tradition pulaar de Siré Abbas Soh (Chroniques du Fouta Sénégalais par Delafosse et Gaden 1913) prétend que les Diaw Ogo sont des Peuls musulmans venus du Moyen Orient au début de l’islam pour conquérir le pays peuplé de Sèrères. En principe, les vrais Diaw ogo ont pu prendre le pouvoir en raison de leur maitrise de la technique de l’extraction du fer. Or tantôt Soh affirme que des forgerons sont venus de l’Orient avec les Peuls, tantôt il déclare que les premiers forgerons du Fouta viennent du Manding. Mais Soh ou ses traditions ne connaissent même pas le vrai nom d’un personnage important dans l’histoire de la région à savoir le roi forgeron Soumangourou Kanté du Sosso au 13e siècle. Il l’appelle Soumangourou Sissoko (Chroniques Annexe XI  p142).

D’autres sources montrent au contraire que les Peuls ne peuvent pas être des Diaw ogo. Comme en Egypte dit Anselin, le pouvoir nait à l’ombre des greniers. Tout au long du récit, Soh s’abstient d’expliquer comment les Peuls venus en conquérants avec des burnous sont devenus des bouviers réputés. Cette activité caractéristique des Peuls n’est  mentionnée nulle part dans son texte. D’après de nombreuses autres traditions pulaar (Cheikh Moussa Camara), soninké (Pollet et Winter), dogons (Fondation SCOA 1981) les Diaw ogo sont des noirs de la rive gauche ou worgankobé (wolofs, sèrères et/ou soninké). Selon Steff, cette famille dynastique était wolof (ou proto wolof). Qui plus est,  aucun membre du clan Dia ne revendique son appartenance à cette dynastie de forgerons, tandis que la liste des patronymes des Diaw ogos citée par O Kane (1986) contient plutôt des noms réputés wolofs et sèrères. Il y a certes des Peuls Diaobés ou Diawbés, mais il s‘agit des assistants des spécialistes de la fonderie, qui allaient récolter  de la pierre ferrugineuse pour les hauts-fourneaux.

Beaucoup plus décisif parce que relevant de la science, les travaux de Pr Bocoum (UNESCO 2000) et de ses collègues montrent que la métallurgie dans la région est de loin antérieure à la naissance du prophète Mohamed lui-même.

Delafosse et Gaden qui ont traduit et publié les récits de Soh expriment tout au long de leurs notes et commentaires des doutes, des interrogations et des remises en question radicales, parfois sur le mode de l’ironie et de la condescendance. Delafosse en particulier donne même parfois l’impression très nette que, tout en considérant qu’il s’agit de fables ou de contes pour enfant, il juge cependant que c’est une histoire bonne pour les nègres. Sans se préoccuper de sa valeur réelle, il l’endosse pour l’usage qu’il peut en faire : montrer à travers ces récits que des Blancs soit disant venus d’Orient qui ont donné naissance aux Peuls d’origine blanche, ont envahi, dominé et islamisé les nègres autochtones, tout comme eux-mêmes sont venus d’Europe pour dominer et civiliser les mêmes nègres. « Au point de vue historique, dit-il, les Chroniques, comme les documents que j'y ai annexés, ne peuvent prétendre à donner la vérité scientifique que recherche l'esprit des Occidentaux » Elles « ne constituent pas, à notre point de vue européen, une histoire bien remplie ni bien intéressante du Foûta »… « Ainsi que le remarque l'auteur (Soh) avec franchise, il s'agit d'événements trop anciens pour qu'on puisse rien avancer avec certitude et, au reste, Dieu sait mieux que personne ce qui s'est passé exactement ». (Avertissement p. 1 à 6).

Malgré tout, dans l’historiographie du Sénégal jamais révisée, ce sont ces Chroniques de Soh qui ont définitivement consacré les Peuls comme les fondateurs d’une dynastie de forgerons. Existe-t-il au Soudan occidental des Peuls à la fois pasteurs et forgerons ? Tauxier qui a passé en revue toutes les hypothèses sur l’origine des Peuls y compris les plus improbables et sait de quoi il parle considère que Delafosse a rendu « un piètre service » à l’histoire du pays. Il constatera d’ailleurs plus tard qu’après l’éclat que lui a donnée pour un temps Delafosse, la thèse (de l’origine orientale musulmane des Peuls est maintenant abandonnée) (Tauxier 1937 Payot in Webpulaku). Elle était en effet tombée en désuétude notamment dans les travaux de O. Kane. Le titre de son dernier ouvrage intitulé La premiere hégémonie peul est sans équivoque. C’est seulement la conquête de Koly Tenguella au 16e siècle qui voit pour la première fois les Peuls prendre le pouvoir. C’est pourtant cette thèse rejetée depuis longtemps qui est revenue à la faveur de l’Histoire générale du Sénégal (HGS Tome II Vol 1. page 90/91).

 

1000-1300 Les Manna sont des Soninkés originaires du Diarra voisin, un régime d’occupation.

Commentaires Dans la région, ils sont les premiers à adhérer à l’islam et non les Peuls de Soh ou les Toucouleurs devenus Torodos. War Diaby Diay leur roi s’est converti au 11e siècle. C’est peut-être pourquoi certains pensent que « le jihadiste rescapé » ancêtre de Ndiadiane Ndiaye est War Diaby nDiay[4] (sic) lui-même (Diouf 2001). Il aurait pris le nom de baptême Abou Darday

 

1300-1400 Les Tonjong sèrères.

Commentaires : Même si la dynastie des Tonjong Bambara de Ségou au 18e siècle était à l’origine, une association de classe d’âge qu’un des leurs réduisit en esclavage par la ruse (un double pacte de sang selon Kesteloot (1983), la dynastie multiethnique du Tekrour comprenait des Sèrères, des Diolas et des Peuls libres, alliés à « des musulmans du Mali ». D’après la tradition sèrère, les fondateurs auraient scellé un pacte ordinaire (du sang mêlé à du miel), avant de prendre le pouvoir au Tekrour (Ousmane Sémou Ndiaye 1992). C’est ce pacte indéfectible comparable à « l’esclavage » symbolique (jaam) liant les « frères de case » du rituel de circoncision (Jongg) dans la case des circoncis (Mbaar) qui a motivé l’appellation Tonjong. Comme partout en Afrique soudanienne, c’est un forgeron (wolof) qui aurait officié lors du pacte. C’est  pourquoi le Ton Jong bambara du premier pacte ordinaire serait l’exact équivalent  wolof de Jaam Mbaar, le nom des soldats de l’armée sénégalaise. Par contre, quand après un sacrifice humain le Bambara Mamari Coulibaly appelé Biton obligea ses pairs sous la menace, à sceller un deuxième pacte maçonnique dans une ile, ils devinrent réellement ses esclaves. On disait alors dans Ségou : Bi-ton ou « drôle de Ton ! » (idem). Depuis l’étude sur les Tonjong sèrères (Diouf 2017) un chercheur au moins a adopté le terme Jambaar en parlant des Sèrères qui aidèrent Koly Tenguela à libérer le Fouta de la domination du Bourba du Djolof avec l’aide des Djambarébé (A.Bal Ba 2013)[5]

Il se pourrait aussi qu’on ait confondu  Tonjong (frères ou esclaves symboliques par le mélange du sang de la circoncision) avec Tontajong un autre terme militaire mandingue qui désigne les chefs de guerre porteurs de carquois ou littéralement « les attachés ou esclaves du carquois » dans l’armée du Mali (Smith p 890 891)[6].

 Kane donne à la dynastie sèrère  une durée de 100 ans et Steff 350 ans. Mais quand on sait que les Sèrères ont précédé tout le monde dans ce pays, que damel ou dumel au Cayor  et  teigne, tin ou tinou au Baol étaient déjà des titres sèrères au Tekrour (O Kane 1986 p58) et que c’est également le terme sèrère maad roi ou chef qui accompagne le titre du Maa’ Rosso, le mari de la reine dans le Walo des braks,  quand on sait en outre que Kane  a voulu réduire encore davantage la durée de l’unique dynastie déclarée des Sèrères au pouvoir pour allonger dit-il celle des Peuls, on voit bien qu’il y a des doutes sur la validité de la chronologie retenue. Dans son révisionnisme motivé par la religion, Soh ou ses traditions ont également voulu confondre dans un même opprobre, le fondateur païen de la dynastie qui serait un Diouf et le patronyme Diop qui serait prétendument la forme wolof de Diouf. En effet, Levtzion déclare que c’est un Diouf qui avait fondé la dynastie. Le dernier roi s’appelle Moussa Ngom.

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1400-1527 Les Lam Termes, Lam Taga et le Lam Toro

Commentaires de Delafosse : c’est une période trouble dans un pays morcelé qui voit le court règne simultané de plusieurs régimes multiethniques ou d’origine métisse dans différentes provinces du pays et portant le titre de lam : les Lam Termes (Peul, Soninké et Manding), les Lam Taga (des Maures ou des Maures mêlés de Peul) et le Lam Toro (un des Lam Taga dissident établi à Guédé que Soh a omis dans sa liste des dynasties). Dans la même période, le pays est conquis brièvement par Cukuli Njiklaan Ndiaye du Djolof  (O. Kane : 1986).

 

1527-1775 Les Denyanké ou Satigi amenés par la conquête peul de Koly Tenguela qui change le nom du pays  devenu Fouta.

Commentaires : Ce conquérant peul du Tekrour qu’il a renommé Fouta Toro serait venu de Denya en Sénégambie méridionale. On sait de façon certaine que Mbegane Ndour le roi sèrère du Saloum ainsi que d’autres guerriers sèrères et tendas (Bassaris, Koniagui) ont tous aidé Koly à prendre le pouvoir (Colvin ; Niang ; A.Bal.Ba).

 

1776-1881 Les Almamys dits Torodo. C’est un régime théocratique toucouleur dans un pays en partie conquis par les Maures arabes Hassan.

Commentaire : même si Abdoul Kader le premier Almamy est venu du Saloum, c’est Thierno Souleymane Bal qui a combattu les Maures et libéré les Foutanké.

 

2.5 Les Sèrères au Sénégal

 

2.5.1 Position géographique

Les pays sèrères sont compris dans un quadrilatère situé au sud d’une ligne imaginaire qui relierait Dakar à Bakel, à la frontière du Mali. Les limites naturelles de ce quadrilatère sont, à l’ouest l’océan, au sud le fleuve Gambie,  au nord -est la vallée fossile du Sine. Par contre, au nord et à l’est, les pays sèrères ne possèdent pas de frontières naturelles : au nord, ils côtoient le pays wolof  dans une zone qui était vraisemblablement occupée en grande partie par les Sèrères au 19e siècle  (si l’on en croit la carte des Etats sèrères dressée sous la direction de Pinet Laprade). A l’est,  ce sont les Terres Neuves elles aussi d’occupation récentes qui bordent le quadrilatère sèrère. Ce quadrilatère correspond aux sols beigne du Sine. Les cultures pratiquées sont principalement le mil et l’arachide.

 

 

Le parc forestier est composé pour l’essentiel de saas ou kadd en wolof (acacia albida), l’arbre des cosmogonies soudaniennes qui joue un rôle essentiel dans la régénération des sols et de baobabs dont on tire le maximum (Gastellu 1981p13)

Après les premiers navigateurs européens qui mentionnent les peuples de la côte, divers travaux et documents évoquent les Sèrères, surtout à partir du 19e siècle et le début du 20e siècle. Ce sont des coloniaux comme Pinet-Laprade (1860) et des religieux comme David Boilat, Marty etc. De nombreux chercheurs  sèrères et non sèrères ont également effectué des travaux sur divers thèmes : Alioune Sarr, Martin et Becker, Gravrand etc. Parmi les toutes dernières parutions figurent les ouvrages de Madior Diouf, Amad Faye, Raphaël Ndiaye etc. On n’oubliera pas les travaux universitaires (mémoires et thèses) qu’il sera possible de consulter sur ce site.

2.5.2 Les Sèrères dans les espaces politiques précoloniaux du Sénégal

Les Sèrères arrivés du fleuve constituent le troisième groupe par la démographie, après les Wolof et les Halpulaar (Peuls et Toucouleurs désormais comptés ensemble).

 

 

  1. La titulature est sèrère

Une revue des espaces politiques qui ont existé au nord et au centre ouest du Sénégal montre que quasiment tous les titres des souverains des pays sèrères, pular et wolofs sont sèrères. Le plus ancien et le plus connu est lamane, un mot sérère qui désigne le maitre du sol (Yoro Dyao 1913 p124). Le Lamane Diaw  commandait le Walo avant les Braks. C’est de ce terme que viennent les titres lam et lamido des Peuls. Comme déjà mentionné ci-dessus, au Cayor et au Baol où les Sèrères ont précédé les Wolofs (R.D. Fall), les titres wolofs dans ces pays étaient des titres sèrères au Tekrour (O Kane 1986 p58 ;  []Klein, 1968 p. 263 ; Suret Canale  1971 p393). Au Sine et au Saloum, les Sèrères utilisent le terme égyptien maat et disent Maad Sinig pour roi du Sine. Au Walo le Maa’ Rosso désigne le mari de la reine qui avait un apanage. Certes Bour Sine et Bour Saloum sont des appellations données par les voisins wolofs. Mais la racine du mot bour lui-même est à la fois sèrère et pular. Il signifie « supérieur, meilleur, au-dessus ou avoir le dessus » (O. Kane 1986 glossaire).

 

  1. Les Sèrères dans les pays pulaar- halpulars et wolofs

 

Comme on peut le constater ci-après, l’antériorité des Sèrères dans tous les pays devenus pulaar halpulaar et wolofs est un fait constant (Arcin (1911 p 64 ; Mbaye Guèye ; R.D. Fall)

-Au Tekrour devenu le Fouta des Pulaar Halpulaar, Nyamandir est l‘ancien nom sèrère du pays. Il signifie “terre nourricière”. Ce nom renvoie à un pays de culture non pluviale (dir). A l’origine, la majorité de la population du Tekrour était sèrère, puisque les Toucouleurs seraient issus d’un mélange de Sèrères et de Peuls, eux -mêmes nés peut-être d’un métissage de Berbères et de Sèrères. C’est l’une des nombreuses thèses recensées par Tauxier. Le Glossaire des Chroniques dit aussi que Anyam Godo le premier village du Fouta qui fut la capitale de beaucoup de régimes y compris celui de Koly Tenguala a été fondé par les Sèrères.

-Au Walo des Wolof, l’ancien du royaume sèrère était Sanghana (El Bekri 1068) ou Sineghana (Kandji 2006) ou Sénéghan, Sénéghal (Marty 1919). Au temps des braks wolof, les Djoes sèrères étaient l’un des 3 matrilignages royaux qui avaient droit au trône. Le Diogomaay président du collège des électeurs était sèrère de patronyme Ngom. Le titre est devenu Diomaye, un prénom sèrère. Ndiourbel la capitale se refère au lieu des libations et bains rituels (djuur) du roi 

-Au Djolof. D’après la tradition de Yoro Dyao, le pays a été crée par un Malinké/Lebou du nom de Djolof Mbeng. Mais les Sèrères qui ont quitté l’ancienne Mauritanie plus tôt, y ont précédé les Wolofs de Ndiadiane Ndiaye. Quand, vers1250 (?), Soundiata Keita du Mali y envoie un chef de guerre pour punir le Djolofin Mansa de l‘avoir insulté, les traditions malinkés disent que ce sont des Sèrères qui s’y trouvent avec leur “roi au bonnet orné de plumes noires” autrement dit un magicien (Massa Makan Diabaté 1970 a et b). Cada Mosto le navigateur portugais arrivé sur les lieux au milieu du 15e siècle appelle le Djolof: Seneghana, le même nom que celui du royaume sèrère sur le fleuve.

-Au Cayor. Partout, dans les pays devenus wolofs, dit Boulègue, l’influence politique des premiers matriclans sèrères fut beaucoup plus considérable que ne le disent les légendes wolofs (Boulègue 1987 p 60 in Dupire 1994 p110). Dans ce pays, les lamanes sèrères du matriclan des hagan notamment étaient les principaux dignitaires du conseil des électeurs (idem p 109 110)[7]. C’est en raison de cette antériorité que ce pays a également porté un nom dérivé de Sineghana, avant de le changer. Dans les correspondances des damels avec la Colonie, le pays a porté jusqu’au 19e siècle encore, un nom dérivé du Singhana des Sèrères et d’Al Bakri. En plein 19e siècle, le damel Makodou de mère sèrère du Sine (1859 1861) appelle son pays Senghan (Archives de la république du Sénégal). En berbère de Mauritanie, le Kayor s’appelle aussi Sunghan, et c’est ainsi que les Maures Trarza appellent aujourd’hui encore l’ensemble du Sénégal (Monteil 1980).

-L’empire du Djolof et les Etats sèrères du centre ouest. Les traditions wolofs de Yoro Dyao et Amadou Wade reprises par Omar Ndiaye Leyti (1981) neveu d’Al Boury du Djolof et Bamba Mbakhane Diop (1973) petit-fils de Lat Dior du Cayor disent que c’est le mage sèrère Maysa Wally Dione roi du Sine qui aurait donné son nom à Ndiadiane Ndiaye le fondateur de l’empire du Djolof. Même si ces traditions prétendent que le Sine et le Saloum faisaient partie de l’ensemble, Cada Mosto l’un des tout premiers navigateurs portugais dit clairement que les minorités sèrères indépendantes et rebelles comme les Nones, de même que les royaumes sèrères des guelwars ne faisaient pas partie de ce que des historiens préfèrent appeler une confédération wolof et non empire. Niokhobaye Diouf du Sine comme Abdou Bouri Ba du Saloum sont formels : les deux pays guelwars étaient indépendants du Djolof. C’est d’ailleurs ce que retient de Yoro Dyao l’auteur de l’Histoire  générale du Sénégal. Il omet le Sine dans la liste des pays inclus dans le Djolof (HGS Tome II. Vol 1 p 126). Il y a au moins un signe qui ne trompe pas. Les navigateurs appellent le Sine « Barbasin » pour indiquer que ce sont des sujets du Bourba Sine, et le Saloum Borsalo pour désigner ceux du roi du Saloum.  Bourba qui veut dire Grand Roi et s’applique au souverain du Djolof est le même titre que porte celui du Sine. Des hypothèses avancent que les deux rois étrangers (Ndiadiane Ndiaye et Maysa Waly Dione) ont peut-être  partagé la région en deux zones d’influence, l’une wolof, l’autre sèrère (In Gastellu). Quant à ceux qui prétendent qu’après la formation  de l’empire du Djolof, tous les pays sèrères auraient été conquis et annexés, ils ne connaissent probablement pas  les (très) nombreuses sources européennes qui montrent unanimement jusqu’au 19e siècle, que le Djolof n’a jamais vaincu les armées de la dynastie guerrière des guelwar du Sine et du Saloum. En outre de nombreux voyageurs ne citent pas le Sine dans liste des pays qui ont pris l’indépendance par rapport au Djolof. Du reste, bien avant la rupture du Cayor avec le Djolof, c’est sous le 7e teigne  Bouré Fara Kop Diouf que le Baol décida que ses dirigeants ne seraient plus désignés par le Bourba mais élus par une assemblée de dignitaires locaux, sous la présidence ou supervision du Jaraaf Baol probablement au 15e siècle (Suret Canal op. cit p.394). Les traditions wolofs y compris celle de Samb et Le Brasseur montrent d’ailleurs que c’est un personnage du nom Manguinak ou Manguénoukat Diouf du Baol qui aurait conduit l’attaque victorieuse des Cayoriens contre le Djolof (Becker et Martin 1977)

In fine, sans tenir aucun compte des prétentions des traditions wolofs, voici ce que retiennent du Djolof les Archives de la Bibliothèque Nationale de France relayée par celle d’Espagne et la Bibliothèque du Congrès des Etats Unis[8] : « L’Empire wolof. Fondé au XIIIe siècle, l'Empire ouolof se subdivise en quatre régions : Oualo, Cayor, Baol et Dyolof, unies sous la domination du Dyolof du XIVe au XVIe siècle. Vers le milieu du XVIe siècle, éclatement de l'Empire. » A ce compte, l’empire aurait duré deux siècles et demi et n’englobait pas tout le Sénégal comme le dit parfois l‘emphase débordante de certains griots. Il est curieux de constater que le site du Secrétariat général de la présidence de la république du Sénégal reprend les mêmes données que les oralistes.

 

  1. Les formations politiques sèrères ou impliquant des Sèrères

 

Les Sèrères arrivés du fleuve ont crée trois royaumes et des petites républiques autonomes ou indépendantes. Au sud de la Gambie, ils ont aussi crée ou ont été associés à la création des principaux Etats de la sous-région

-Le Baol (Diourbel-Bambey): A l’origine, ce pays était peuplé par la tribu des Ools (Guèye 1989 chap. II). Les premiers souverains (deux ou trois) s’appelaient kayamaghan, le titre des empereurs du Ghana ou de ses dépendances. Ils ont ensuite été remplacés par une vingtaine de teignes sèrères ci-dessous. Les Fall wolof également appelés teignes qui ont suivi datent seulement du milieu du 16e siècle (Guèye op cit ; Boulègue 1987 :170). Leur avènement ne découle pas d’une conquête. []La succession étant matrilinéaire, le trône est revenu tout naturellement à Amari Ngoné Sobel Fall neveu wolof de Niokhor Ndiaye le dernier tègne sèrère (Kany Samb). C’est ainsi que le pouvoir est devenu patrilinéaire. Du reste Kany Samb tient à souligner « qu’on ne peut trouver un seul descendant des princes qui ont fait le Baol qui n’ait une ascendance sereer ». Le peuplement wolof s’est densifié à partir des teignes wolof et du développement du Mouridisme.

 

Listes des teignes du Baol avant les Fall wolof (Colvin 1981 p 36) Les numéros correspondent à l’ordre de citation dans chaque liste mais ne concordent pas nécessairement d’une liste à l’autre.

 

Tègnes  wagadou du Baol avant les Fall

Liste  A

Yoro Diaw (v.1860)

Liste B

Rocache  (1904)

Liste C

Kany Samb  (v 1968)

Liste D

Gning et Sène (1972)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

Kantaye Diata

Khayamangha (Fama Diata)

Khaya Manga Fama Diata

Thiedjilene Sink Sink

2

Khakhname Nafor

KhakhnameNafor ?

Bargal  Diata

 

3

Birane Khakhname

(Birane)Khakhnam

Massa Siwo

 

4

Ntasse Lel

M’Batatou N’Daly

 

 

5

NDambaou Lel (Reine ?)

M’Batatou NDah

 

 

6

Ma Ndambaou ? (Reine ?)

Sambel Ngom

(Sombel ?) Ngom

 

 

7

Deimba Guèye

Ndjinack (Djalane Diouf)

 

 

8

Mafane Thiaw

Bouré Fara Kop Diouf  (Diouf)

 

 

9

Gnassa Marone

Guidiane  Diouf

 

 

10

Djinack ou Djinague Djalane

Djinack (Djalane  Diouf)

 

Niang Marane

(Gnassa Marone) ?

Ma Diouf 

 

11

Bouré Fara Kom

 Bouré Fara (Kop Diouf)

Demba Guye

Demba (Guèye)

Dioly Badiane

 

12

Guidiane (Diouf)

Kharlone  Diom

Diana Bob

Felane Diom

13

 

Mbegane Ndour (1494-1514)

Filane Diom

(Felane Diom)

Diana Bob

14

Fambilangar  Ngom

Fabilangar  Ngom

Fambilangar Ngom

Fambilangar Ngom

15

 

 

Tambell Faye

 

Demba Guèye

 

Mafane Thiaw

 

16

 

Ndambao Lel

Reine ?

Bouré  Faragal

Bouré (Fara Kop Diouf )

Bouré Diouf

Bouré (Fara Kop) Diouf  

17

Diana Bob

Djamah Bob

(Diana Bob)

Mbégane Ndour  (1494-1514)

Djinak Dialane Diouf

18

 

Couly  Djigane

(Djégane ?)

Thielkha Marone

 

 

19

Niokhor Ndiaye

Sobel Ndiaye

Niokhor Ndiaye

Niokhor Ndiaye

LES FALL (1550-1582) Peut-être à partir de 1520

Amari Ngone Sobel (1550-1582) Peut être à partir de 1520

Amari Ngone Sobel (1550-1582) Peut être à partir de 1520

Amari Ngone Sobel (1550-1582) Peut être à partir de 1520

Amari Ngone Sobel (1550-1582) Peut être à partir de 1520

 

-Le Sine (Fatick-Joal). Il est peuplé par des Sèrères venus du Sineghana, l’ancien nom du Walo sur le fleuve. D’autres sont venus de divers autres pays de l‘ancienne Mauritanie. Auparavant, le Sine était commandé par des lamanes. Vers le 14e siècle (?) des migrants mandingues de l‘aristocratie guerrière des guelwars venus semble-t-il de la région du Badyar au Gabou en Guinée Bissau ont organisé le royaume. Le chef de la migrations serait Maysa Wally Dione premier roi du Sine. C’est le Barba Sine ou Bouba Sine des sources portugaises. Auparavant, des Sèrères également partis du fleuve avaient organisé au Badyar même une “puissante confédération” (Arcin ; Ngaydé etc). L’importance du rôle et de la place des Sèrères du Gabou dans la migration des guelwar ne sont pas encore clairement définis.

-Le Saloum. Ce pays jadis appelé Mbey est habité par les Fefey. Il a été conquis au 15e siècle par le Sèrère Mbégane Ndour qui a tué les marabouts Lam Toro Elibana Sall et Diattara Tambedou. Mbégane était un petit neveu du guelwar Maysa Waly Dione du Sine. Après sa conquête, le marabout Saloum Souaré du mouvement des Diakhankés pacifistes lui avait remis une eau bénite qu’il répandit partout ou devait s’arrêter son royaume. En reconnaissance, il décida de changer le nom du pays devenu Saloum. On pourrait suggérer aux autorités traditionnelles du Saloum de renouer fraternellement avec les Diakhanké de Casamance pour commémorer cette collaboration bénéfique. C’est également la diplomatie active de Mbégane qui a amené les Wolofs en grand nombre au Saloum. Ce souverain  guelwar est le seul qui a régné dans les trois royaumes sèrères du Sine, du Saloum et du Baol.

 

 

 

Les deux Etats guelwar Sine et Saloum (Les Africains Editions J.A 1977)

 

Le Niani Ouli. Sans qu’on sache ce que valent les traditions de Soh sur ce point, ses Chroniques et le glossaire en annexe disent qu’à l’époque de la conquête du Fouta par le Peul Koly Tenguela, ce sont deux rois sèrères du nom de Sambo Dabbel ou Sambo le Courteaud (Dabbel ou Rab, Dab: petit de taille) qui régnaient l’un au Niani, l’autre au Wouli, deux royaumes de la vallée de la Gambie. L’un aurait aidé Koly dans sa conquête et l‘autre l’aurait tué (Chroniques). On retrouve dans ces deux pays le toponyme emblématique des Sèrères: Ndoungou Sine était l’ancienne capitale du Niani, non loin de Kolibantan, et Sine la 2e capitale du Wouli (Sekene Cissoko 1974 :131 153  155 169). Dans d’autres royaumes gambiens, on a signalé au 19e siècle des mercenaires sèrères (Quinn : 1972 pp 69 et 88)

-Les républiques sèrères. Les minorités dont certaines sont parfois appelés Xercos dans les sources portugaises sont également venues de l‘ancienne Mauritanie (Dupire). Xercos se refère probablements aux Sercos ou Sorkos du Songhai qui étaient des bateliers “Sèrères amis de Soni Ali Ber” (Adam Ba Konaré 1977 p 90). Ces minorités n’ont pas crée de royaume. Comme les Lébous du Cap Vert, ils se sont organisés en républiques indépendantes dans le voisinage des royaumes wolofs et sèrères. Sans être complet on peut citer les Nones, Ndoutes, Palor, Tianqiin de Thiès et Tivaouane appelés Sèrères du Nord Ouest, les Sèrères Safène de la Petite Côte de Rufisque et Diamniadio à la rivière Somone et des minorités de l’intérieur: Diobass, Njeguem etc. Tous sont réputés indépendants et belliqueux et cruels face aux trafiquants d’esclaves, aux royaumes voisins qui cherchaient à les assujetir et face aux agents de la Colonie. Si “le fameux Diogomaye Tine” du Diobass était bien connu des agents de la Colonie, Kagne le  Robin des Bois local des Nones est un autre symbole de ces minorités rebelles. Les nombreux patronymes qui le revendiquent indiquent simplement qu’il y en eu plusieurs.

 

 

 

 

Les minorités sèrères organisées en républiques

 

 

  1. Les Sèrères dans les Etats de Sénégambie méridionale

Des traditions, des indices concordants et surtout de nombreux auteurs[9] montrent que des Sèrères étaient présents à une certaine époque, en Gambie et en Casamance, jusqu’au Fouta Djallon. A.Ngaidé : 2009 (UCAD) explique comment ils se sont retrouvés en Guinée Bissau. La conquête vers 1250 de ce qui sera l’empire du Gabou par le général Tiramakhan Traoré du Mali est contemporaine dit-il, de la longue descente vers le sud, des populations noires de la vallée du fleuve Sénégal, sous la pression des Berbères et du mouvement d’islamisation. Au nombre de ces migrants se trouvent les Sèrères qui s’éparpillent à travers les bassins et les iles du Saloum et de la vallée de la Gambie. Plusieurs d’entre eux arrivent jusqu’au Gabou et sont progressivement intégrés au royaume et se métissent aux mandingues (A.Ngaidé op cit). Non seulement Sèrères et Diolas étaient présents dans l`extrême Sénégambie méridionale, mais des auteurs coloniaux comme Arcin et Germain signalent « au nord-ouest du Fouta-Djallon, une « confédération Sérère-Diola » « dominée par les Sérères »,  dans laquelle s'étaient introduits des autochtones. Des traditions relayées par Arcin prétendent même que c’est cette confédération qui aurait fondé le Gabou (note p 64) : « La légende des Guélowar dominant le N'Gabou les fait descendre dit-il, de deux princesses réfugiées chez les Sèrères-Diolas et épousées par le chef du pays. Le pouvoir se transmet dans cette famille par les femmes ». Comme le montrent le mythe, mais aussi un auteur de Gambie, c’est du Gabou que des Diolas et des Sèrères auraient migré ultérieurement en direction de la Casamance et de la Gambie, jusqu`au Sine et au Saloum au Nord (Sonko-Godwin 1985 : 61). Des traditions recueillies par Noirot et Bourgeau[10] appellent « Aguenu, l’une des deux princesses chefs de la migration guelouares » (De Moraes 1998 : 157 et note 286 :179)[11]. La présence des Sèrères dans ces régions les apparente aux Diolas, mais aussi aux Bainounks du royaume des Kassanga. Dans certaines localités de Casamance, les Sèrères sont appelés Kassinka[12]. Ils sont également apparentés aux peuples tendas (Bassaris, Koniagui, Bedik etc.), aux Badiaranké et probablement à d’autres minorités de Sénégambie méridionale. Clairement, la guelwar Sira ou Siga Badiane ou Badiar ancêtre de Senghor est venue du Badyar pour fonder la principauté de Koular à Djilor Saloum. Le voyageur Hecquard a trouvé en plein 19e siècle un roi guelwar et sa sœur dans l’un des royaumes du Gabou. Ce roi Bakar est fils d'un marabout qui épousa une Guelwar (Hecquard 1855 p204 à 206)

 

3 LES RACINES SERERES ET LA LANGUE MERE DU PAYS

 

3.1 Le creuset sèrère

 

La communauté sèrère qui compte près d’une vingtaine de groupes et sous -groupes est marquée du sceau de la diversité. Autour des Sèrères venus de l’ancienne Mauritanie, la communauté s’est enrichie de la rencontre et de l'intégration de différentes vagues migratoires issues des empires et royaumes précoloniaux de la sous-région. Venus se fondre au centre-ouest du Sénégal, les Sèrères sont à la fois "cousins" des Toucouleurs et des Peuls du nord (C. Monteil 1950) des Diolas du sud, et des Lébous à l'ouest; ils leurs sont liés depuis les temps anciens, par un pacte de paix et de non-agression. Une longue cohabitation a forgé de multiples liens de voisinage et de convivialité, ainsi que de nombreuses solidarités matrimoniales avec les Wolofs dont certains sont des Sèrères wolofisés de plus ou moins longue date. Tout au long de l’histoire, des groupes mandingues ou sossés ont contribué au peuplement des terroirs sèrères. Roger Dorsinville intellectuel haïtien qui connait les réalités sociales du Sénégal contemporain constate que les « Sérères "acceptent" les Wolofs, vivent "amicalement" avec les Sossés (Mandings), "concèdent" des quartiers aux Peuls et se "mélangent" avec les Toucouleurs avec qui il y a parenté.» (In Diouf 1996). Des Sèrères partis de l’ancienne Mauritanie ont également atteint les confins de la Guinée Bissau, dans ce qui deviendra le Gabou (Yoro Dyao ; Arcin ; A. Ngaidé 2009 UCAD etc.) Leur présence dans ces régions les apparente à de nombreuses communautés. D’après Godfrey Mwakikagile « ...les Sérères ont traversé de vastes étendues de territoires au cours de la période précoloniale et je considère toute la région, « la région de Sénégambie », comme leur foyer ainsi que le montre clairement l'histoire de leur migration  ». Godfrey Mwakikagile "The Gambia and Its People: Ethnic Identities and Cultural Integration in Africa", 2010 p, 136. (ISBN 9987-16-023-9).

Beaucoup plus récemment, c’est l’alliance d’un Sèrère de Joal et d’une Manjak de Guinée Bissau qui a donné au pays le personnage de Blaise Diagne, l’une des toutes premières grandes figures africaines du Sénégal moderne. Malgré toutes les manipulations ou « vol » de l’histoire confinant à la caricature, Blaise est bien de père sèrère de Joal appelé Niokhor Diagne et de mère manjak appelée Gnagna Preira. Iba Der Thiam notre historien national est formel. « Ayant fait ma thèse sur l’histoire politique du Sénégal, je peux vous dire que la diabolisation a toujours produit dans notre pays, l’effet inverse de celui recherché, parce que le Sénégal déteste l’acharnement et l’excès en tout. C’est parce que Blaise Diagne traité de candidat de père Sérère et de mère Mandiagote (Manjak) avait été diabolisé, qu’il avait réussi son élection de 1914 (comme député) Pr Iba Der Thiam Interview réalisée par Ndiaga Ndiaye  L’Observateur N° 2793 du vendredi 11 janvier 2013 page 7.

Ce témoignage irréfutable n’a pas empêché les autorités sénégalaises qui ont cautionné et réitéré « le vol de l’histoire », de faire encore pire en ôtant à Diagne sa mère manjak pour lui donner une mère diola lors de l’inauguration de l’Aéroport Blaise Diagne[13] (Le Quotidien n° 4442 du 5 Décembre 2017 et  Le Quotidien n° 4445 du 8 Décembre 2017 Aéroport international Blaise Diagne Le projet caché de Abdoulaye Wade d’effacer Léopold Sédar Senghor de la mémoire collective (par Kadialy Gassama)

3.2 Le sèrère langue mère

 

Un chercheur manjak a pu dire que la langue est la boite noire de la civilisation. Bien avant les migrations et les rencontres, la langue a constitué l’élément le plus ancien et le plus solide qui unit à la base, de manière indissociable, la majorité des populations sénégalaises. Dans l’ancienne Mauritanie, les langues à classes dites west atlantic group appartenaient aux populations que les sources arabes appellent Maghsara ou « Sèrères ancestraux » (Carte de Delafosse).  Ce groupe de langues est différent de celui des populations de langues mandé (malinké, soninké, sarakollé, dioula etc.) Sapir (1971) donne ci-après le pourcentage de racines communes aux langues des Maghsara entre elles :

-Sèrère- Pular  37% (40% selon Mukarovski cité par Gravrand) ;

-Sèrère -Wolof 25% ;

-Sèrère- Jola 17% ;

-Wolof-Pular 24% ; 

-Jola -Wolof 13% ;

-Jola-Manjak 28% ;

-Jola -Pular 13%.

-Toutes ces langues ont des racines communes avec les Tenda (Bassaris, Koniagui, Badiaranké). 

En raison de l’antériorité de ses locuteurs dans l’ancienne Mauritanie  (Bassène 2011 p117 118), c’est le sèrère qui a le plus grand nombre de racines communes avec toutes les langues à classes du pays (Makhtar Diouf  1981 p 75 76). Toutes proportions gardées, il occupe la même position que le latin par rapport aux langues romanes (italien, français, espagnol, portugais, roumain). C’est pourquoi toute étude sérieuse sur les langues sénégalaises concernées ne saurait ignorer le sèrère. C’est encore plus vrai concernant le pular et le wolof.

 

3.3 La langue pular est née du sèrère, le wolof dérive du sèrère  

 

D’après un des dictons halpular cités par V. Monteil, « La langue peule est née chez les Sérères, grandi chez les Toucouleurs et vieilli chez les Peuls » : pulaar jibinaa ko Seereraabe, mawni Fuuta, nawyi e Fulbe" [14]. Le dicton et les statistiques disent clairement qu’à l’origine, le sèrère était la langue des Toucouleurs Halpular et des Peuls (V. Monteil 1980 p52/53). Ces derniers l’ont emportée dans leur exode au Macina et au Fouta Djallon et y ont progressivement apporté des modifications et des éléments nouveaux provenant de leur nouvel environnement. Quand ils sont revenus au 16e siècle lors de la conquête de Koly Tenguela, la langue sèrère modifiée ou créolisée devenue le pular a été imposée aux populations du Tekrour, pays qu’ils ont renommé Fouta Toro. A cette époque, la désérérisation du Tekrour consécutive à l’exode des Sèrères à partir du 10e était avancée (Trimingham).

Comparés aux traditions historiques et aux dictons, la linguistique est une science. L’origine sèrère du pulaar est attestée par les linguistes et chercheurs éminents comme Hombourger, Barth, Delafosse, Gaden, V. Monteil, Sapir, Mukarovski Trimingham, Makhtar Diouf etc. Du reste, parmi les nombreuses hypothèses sur l’origine des Peuls recensées par Tauxier, figure celle qui fait de ce peuple des métis de Sèrères et de Berbères. Un des professeurs de Senghor disait que les peuples qui se rencontrent se combattent souvent, ils se métissent toujours. Comment se serait faite la rencontre Sèrères Berbères qui aurait abouti au métissage ? Aucune source ne le dit. Parmi les nombreux éléments qui pourraient être évoqués figurent à titre tout à fait indicatif  l’amende infligée à un parent par alliance. Elle porte le même nom tayallit en berbère et tyallit en sèrère (Marcy G. 1936). Le cas échéant, cette ethnogenèse  ne serait pas en contradiction avec une origine afro orientale des Peuls puisque  les Berbères eux-mêmes portent un gène dit somalid. De la Corne de l’Afrique, ils auraient effectué une migration en arc de cercle aboutissant au sud de l’actuel Sahara occidental (Le E1b1b des Berbères vient de Somalie http://www.thegeneticatlas.com/E1b1b.png Route de propagation du gène somalid  https://histoireislamique.files.wordpress.com/2015/01/route-e1b1b.png)

Par ailleurs, les traditions wolofs expliquent également sous une forme allégorique comment serait née leur langue. Dans la première version en date  publiée au début du 20e siècle, c’est une création des Sèrères, des Peuls et des Arabo berbères (Yoro Dyao 1913). D’après Amadou Wade aussi,  ce sont les gens de Menguègne (vers Saint Louis), ceux du Sine et du Walo qui composèrent un dialecte qui est la langue des Wolofs (Wade : 1941 et 1964 p445-446). Des variantes des mêmes auteurs disent que c’est Ndiadiane Ndiaye fondateur du Djolof et Maysa Wally Dione roi du Sine avec d’autres groupes qui auraient crée la langue wolof. En réalité, avant l’émergence tardive de l’identité wolof, les Lébous proches parents des Sèrères étaient probablement les porteurs des éléments de la langue majoritaire des populations de la province méridionale du Walo appelée le Lof. Cette province était habitée par divers groupes provenant de la rive droite du fleuve. Leur seule identité était géographique. On les appelait les « Gens du Lof » autrement dit, les Wa Lof ou Wolof. C’est progressivement que l’identité géographique deviendra identité ethnique. Il faut donc d’inverser les antériorités et les rôles : les Lébous ne seraient pas un groupe wolof rebelle séparé et parti ailleurs, comme ils le revendiquent. Au contraire, ce sont eux qui auraient donné les bases de la nouvelle langue et de la nouvelle identité à ceux qu’on appelait  les gens du Lof, devenus  les Wolofs[15]. C’est au moment où l’identité et la langue wolof se développaient et se consolidaient au Djolof que quelques éléments lébous auraient quitté le pays en direction du Cap Vert notamment. Il y a des éléments qui montrent  que ce sont les Lébous qui étaient dans l’ancienne Mauritanie avec les Sèrères, les Halpular etc. et non les Wolofs. Aucun toponyme ne signale les Wolofs alors que le Lebudo est signalé au Fouta (HGS tome II volume 1 p117). Surtout, les Lébous sont des parents à plaisanterie des anciens groupes du Tekrour alors que les Wolofs ne connaissent même pas cet apparentement, parce qu’ils n’existaient pas à l’époque comme identité. La variante lébou de la langue wolof est également plus proche du sèrère (Sarr 1980).

 

CONCLUSION. Sénégal le nom du pays vient de Sine Ghana, l’ancien pays sèrère sur le fleuve.

La place centrale des Sèrères aux confluences de nébuleuses d'ethnies, elles-mêmes liées les unes aux autres par des alliances séculaires, fait de cette communauté, le noyau pondérateur et stabilisateur du Sénégal en construction. C’est sur elle que reposent à la base les fondations du pays. Elle en constitue les racines profondes. Cette position est symbolisée par l’origine même du nom Sénégal. Il vient de Sineghana, le pays sèrère situé sur le fleuve décrit au 11e siècle par El Bekri (Carte de Trimingham). Sous la forme de plusieurs variantes, Sénéghana ou Singhane etc., a servi à renommer tour à tour tous les pays parcourus par les Sèrères dans leurs migrations depuis le Walo, le Djolof, le Cayor, jusqu’à l’actuel Sine ou Sinig (Fatick) parfois appelé « Sine Wagane », du nom de Wagane Tening Diome Faye petit neveu de Mayssa Wally Dione, qui fut le vrai fondateur du royaume. Même les deux capitales du Niani Ouli portent le toponyme emblématique Sine.

Cependant, Pr Assane Seck qui a préfacé l’ouvrage de Kandji (2006) et lui a donné par là même une caution académique prévient que certains ne voudront pas que le nom du pays vienne des Sèrères. Ils préfèrent sans doute qu’il vienne plutôt des esclaves berbères appelés Zenagha. Or Kandji et des travaux ultérieurs (Diouf 2019) montrent bien que Sénégal qui vient de Sineghana n’a rien à voir avec les Berbères Sanhaja ni avec leurs esclaves Zenegha, puisque les Touaregs du Nord Mali qui sont issus des mêmes Berbères Sanhaja mais qui sont loin  aujourd’hui des enjeux identitaires de la sous-région appellent le pays Sinighal dans leur langue et Sénégal en français. Le titre de l’ouvrage d’Iyad Agh Ali dans les années 1990 est : ‘Adwa’ ûn ‘Alâ Sinighâl’« Lumière sur le Sénégal » (Prof. Bakary Sambe Coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique Université de Saint Louis in Karamba Ndiaye in Vox Populi n° 112 du Mercredi 12 Avril 2017 p4 ISSN 2517- 875X Dakar.

M. Saliou Sambou un Diola ancien Gouverneur de la région de Fatick définit comme suit la place des Sèrères dans le pays (Préface Journées culturelles du Sine Revue  Ethiopiques 1992)

Historiquement : ils sont au centre de toute la stratification  des ethnies composant le peuple sénégalais.

Culturellement : ils sont la grande galaxie principale autour de laquelle tournent comme des météores, toutes les autres composantes  ethniques du Sénégal et même de l’Afrique de l’Ouest.

Géographiquement, ils vivent au cœur du Sénégal et les cinq branches de leur étoile embrasse tout le territoire national.

Symboliquement, le Sine c’est le sel et il n y a aucun mets qu’on prépare au Sénégal sans y mettre du Sine c'est-à-dire du Sel.

C’est ce qui fait dire à Bauman et Westerman que la «  civilisation sèrère est la plus caractéristique de tout le cercle ouest atlantique » (cité par Pélissier puis Gravrand).

 

 

 

 

 

 

 

[1] Voir Notes de lecture de Amady Aly Dieng in Walfadrji du 14 et 15 janvier 2012 p 9 sur Jack Goody : 2006. Le vol de l’histoire  Gallimard

 

[2] Sur Sanghana ou Sineghana voir l’origine du nom Sénégal (Kandji 2006 et Diouf 2020)

[3] Le Berbère n’a pas été tué  au Tagant par un Soninké. D’après le Document sur les Célébrations du Cinquantenaire de la capitale : Noms _des_ anciennes_ rues_ et_ avenues_ du_ Ksar _et _de_ TVZ.pdf, il a été blessé à l’ouest du fleuve et il est parti mourir au Tagant.

[4] Gaden ne le dit pas mais écrit : nDiadiane nDiaye.

[5]Amadou Bal BA Un personnage de légende du Sénégal : Coli Tenguella BA, publié dans Ferloo du 1er avril 2013 http://baamadou.over-blog.fr/Paris 19ème ISSN 2555-3003 (Bibliothèque Nationale de France B.N.F GALLICA.

[6] Version de 1998 de Kankan, mise en forme par Siriman Kouyaté. http://www.africa-orale.org/charte.rtf (2004) Cité par E. Smith Annexe p 890  et glossaire p 899

 

[7] Dupire note 9 cite : Angrand A.P. Les Lébous de la presqu’ile du Cap Vert Dakar  Maison du Livre 1946, p 16 et Boulègue 1987, p 63).

 

[8] Données de la BNF : http://data.bnf.fr/12222633/empire_wolof/

Notice correspondante dans Bibliothèque du Congrès

http://id.loc.gov/authorities/subjects/sh85147250

Notice correspondante dans Bibliothèque nationale d’Espagne

http://datos.bne.es/resource/XX547472

 

[9] Pinet Laprade 1865 ; Arcin1911 ; Delafosse 1912 ; Delafosse/Soh 1913 ; Yoro Diao/ Delafosse 1913; Tauxier 1937 ; (D. P.  Gamble 1957 ; Trimingham 1962 p 83 ; Horton 1971 p 78 à 119 ; Levtzion1971 pp137-138 ; Quinn 1972 ;  Becker et Martin 1977 ; Thierno Diallo 1977; Gravrand/Mahécor 1983; J. Germain 1984 ; O. Kane 1986 ; M. Diouf 2001 p184 ; A.Ngaide 2009  etc.

[10] Noirot 1933 p 6 note 1 cité par J Bourgeau Notes sur la coutume des Sèrères du Sine et du Saloum, Paris in Bull. Com. Et Hist Sc AOF XVI 1933 I p7. Les deux sœurs Againe et Diambogne seraient des princesses chefs de la migration guelwar. Le prénom Diambogne existe encore aujourd’hui en Casamance (Département de Bignona)

[11] Nize Isabelle de Moraes A la découverte de la Petite côte au XVII siècle (Sénégal et Gambie)  tome iii 1664 1672 et tome  IV  1672 1679  IFAN Université Cheikh Anta Diop Dakar 1998.

[12] Village de Dianki (Bignona) années 1958 1959

[13] Il n’est pas facile  de vivre dans un pays où l’histoire est constamment falsifiée par les plus hautes autorités politiques et académiques ? On ose espérer que les documents officiels de l’aéroport seront rectifiés.

[14] Le dicton est cité en 1961 par  Mohammed Fadel Dia un étudiant toucouleur ou halpular (note de V. Monteil 1980 en bas de page).

[15]  Dakar Times N° 1125 du 14 Février 2021 ISSN 25179179 La communauté lébou de Dakar

Realisation:

Marcel Mahawa Diouf

Ancien Fonctionnaire de l'UA (1980 2006)

Ancien Directeur des Archives Culturelles du Senegal, Ministere de la Culture

(1974   1975)

 

77 446 67 29

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