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L’histoire véritable des Sèrères est probablement l’une des moins connues. On a pu le constater avec la publication récente des premiers volumes de l’Histoire générale du Sénégal, objet de nombreuses contestations. Sans qu’il soit besoin de s’appesantir sur les raisons qui sont multiples, on ne peut que constater qu’il y a une demande d’histoire à satisfaire. Or le Sénégal est l’un des rares pays au monde qui n’a pas de bibliothèque nationale, ni de dépôt légal. En dehors des manuels scolaires rédigés quasiment par les mêmes auteurs de l’Histoire générale et en dehors des bibliothèques universitaires destinées aux seuls étudiants, comment un citoyen ordinaire peut-il avoir accès à des sources documentaires plus diversifiés ? En outre, les impératifs de la construction nationale commandent que cette histoire soit mieux connue, en lien avec les autres communautés nationales et au-delà. 

La société sèrère est multiple, avec près d’une quinzaine de groupes et sous -groupes. Elle s’est formée à partir de la rencontre et l'intégration de différentes vagues migratoires issues des empires et royaumes précoloniaux de la sous-région. Venus se fondre au centre-ouest du Sénégal, les Sèrères sont à la fois "cousins" des Toucouleurs et des Peuls du nord, des Diolas du sud, et des lébous à l'ouest; ils leur sont liés depuis les temps anciens, par un pacte de paix et de non-agression. Une longue cohabitation a forgé de multiples liens de voisinage et de convivialité, ainsi que de nombreuses solidarités matrimoniales avec les Wolofs. Tout au long de l’histoire, des groupes mandingues ou sossés ont contribué au peuplement des terroirs sèrères. C’est Saloum Souaré marabout fondateur du mouvement des diakhankés pacifistes qui a aidé le conquérant sèrère Mbégane  Ndour à étendre son pays. C’est pourquoi le nom est devenu Saloum (Kaolack) (Diouf 1996). Roger Dorsinville intellectuel haïtien qui connait les réalités sociales du Sénégal constate que les « Sérères "acceptent" les Wolofs, vivent "amicalement" avec les Sossés (Mandings), "concèdent" des quartiers aux Peuls et se "mélangent" avec les Toucouleurs avec qui il y a parenté.» Des Sèrères partis de l’ancienne Mauritanie ont également atteint les confins de la Guinée Bissau, dans ce qui deviendra le Gabou (Yoro Dyao ; Arcin ; A. Ngaidé 2009 UCAD). Leur présence dans ces régions méridionales les apparente aux Diola bien sûr, mais aussi aux peuples Tendas (Bassaris, Koniagui, Badiaranké etc.) et aux Bainounks du royaume des Kassanga. Dans certaines localités diolas, les Sèrères sont appelé Kassinka[1]. D’après Godfrey Mwakikagile « ...les Sérères ont traversé de vastes étendues de territoires au cours de la période précoloniale et je considère toute la région, « la région de Sénégambie », comme leur foyer ainsi que le montre clairement l'histoire de leur migration  ». Godfrey Mwakikagile "The Gambia and Its People: Ethnic Identities and Cultural Integration in Africa", 2010 p, 136. (ISBN 9987-16-023-9). Beaucoup plus récemment, l’alliance d’un Sèrère et d’une Manjak  a donné au pays le personnage de Blaise Diagne, l’une des toutes premières grandes figures africaines du Sénégal moderne. Cette position centrale aux confluences de nébuleuses d'ethnies, elles-mêmes liées les unes aux autres par des alliances séculaires, fait de l'ethnie sèrère, le noyau pondérateur et stabilisateur du Sénégal en construction. C’est sur ce groupe que reposent à la base les fondations du pays.  Il en constitue les racines profondes.

 

Autre domaine fondamental, un chercheur manjak a pu dire que la langue est la boite noire de la civilisation. Dans l’ancienne Mauritanie, les langues à classes dites west atlantic group appartenaient à des populations que les sources arabes appellent Maghsara.[2] C’est l’ensemble sèrère-lébou-wolof-peul-toucouleur-halpular. Le terme Maghsara voudrait dire « Sèrères ancestraux (Cuoq 1975 p127 et 128 ; Trimingham 1962 p128 fin note ; Delafosse : 1912 Carte 8).  Ce groupe de langues est différent de celui des populations de langues mandé (malinké, soninké, sarakolé, dioula etc.). Sapir (1971) donne ci-après le pourcentage de racines communes aux langues des Maghsara entre elles :

 

-Sèrère- Pular  37% (40% selon Mukarovski cité par Gravrand) ;

-Sèrère -Wolof 25% ;

-Sèrère- Jola 17% ;

-Wolof-Pular 24% ; 

-Jola -Wolof 13% ;

-Jola-Manjak 28% ;

-Jola -Pular 13%.

 

Toutes ces langues ont des racines communes avec les Tenda (Bassaris, Koniagui, Badiaranké).  En raison de l’antériorité de ses locuteurs dans l’ancienne Mauritanie  (Bassène 2011 p117 118), c’est le sèrère qui a le plus grand nombre de racines communes avec toutes les langues à classes du pays (Makhtar Diouf  1981 p 75 76). Il occupe la même position que le latin par rapport aux langues romanes (italien, français, espagnol, portugais, roumain). C’est pourquoi toute étude sérieuse sur les langues sénégalaises concernées ne saurait ignorer le sèrère. C’est encore plus vrai concernant le pular et le wolof. D’après un dicton local, « La langue peule est née chez les Sérères, grandi chez les Toucouleurs et vieilli chez les Peuls »: pulaar jibinaa ko Seereraabe, mawni Fuuta, nawyi e Fulbe" (idem)[3]. Le dicton et les statistiques disent clairement qu’à l’origine, les Peuls parlaient sèrère. Lorsqu’ils sont partis en exode ils l’ont emportée et y ont progressivement apporté des modifications et des éléments nouveaux provenant de leur nouvel environnement. Avec la conquête du pays par les Peuls de Koly Tenguela et l`hégémonie politique de sa dynastie des Satigis, le sèrère ainsi transformé est revenu et imposé aux Tekrouriens ou Toucouleurs dits Halpular au 16e siècle. A cette époque, la désérérisation consécutive à l’exode des Sèrères à partir du 10e était avancée (Trimingham). La tradition explique également comment serait née la langue wolof. Dans la version de Yoro Dyao c’est une création des Sèrères, des Peuls et des Arabo berbères. D’après Amadou Wade,  ce sont les gens de Mengueny, ceux du Sine et du Walo  qui composèrent un dialecte qui est la langue des Wolofs (Wade/Monteil: 1941 et 1964 p445-446).

 

M. Saliou Sambou un Diola qui fut Gouverneur de la région de Fatick définit comme suit le rôle et la place des Sèrères dans le pays (Préface Journées culturelles du Sine Revue  Ethiopiques 1992)

 

Historiquement : ils sont au centre de toute la stratification  des ethnies composant le peuple sénégalais.

 

Culturellement : ils sont la grande galaxie principale autour de laquelle tournent comme des météores, toutes les autres composantes  ethniques du Sénégal et même de l’Afrique de l’Ouest.

 

Géographiquement, ils vivent au cœur du Sénégal et les cinq branches de leur étoile embrasse tout le territoire national.

 

Symboliquement, le Sine c’est le sel et il n y a aucun mets qu’on prépare au Sénégal sans y mettre du Sine c'est-à-dire du Sel.

 

[1] Village de Dianki (Bignona) années 1958 1959

[2] Cuoq, Selon Trimingham, Maagh Sara voudrait dire Sèrères ancestraux.

[3] Le dicton est cité en 1961 par  Mohammed Fadel Dia un étudiant toucouleur ou halpular (note de V. Monteil en bas de page).

Realisation:

Marcel Mahawa Diouf

Ancien Fonctionnaire de l'UA (1980 2006)

Ancien Directeur des Archives Culturelles du Senegal, Ministere de la Culture

(1974   1975)

 

77 446 67 29

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