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AGAINE ET DIAMBOGNE Le mythe des deux sœurs ancêtres des Diolas et des Sèrères

 

Bien que ce soit largement ignoré aujourd’hui, il y avait,  jadis, des diasporas sèrères en Sénégambie méridionale. Leur lien avec les populations de Casamance est attesté par le mythe de l`apparentement et de la séparation des deux sœurs Againe et Diambogne, ancêtres respectives des Diolas et des Sèrères, aux environs de la vallée de la Gambie ou du Saloum (Brigaud 1962 ; S. Guèye 1971 ; Gravrand 1983; Diouf 1996 ; S. Sambou 2005).Outre le mythe et ses variantes, des traditions, des indices concordants et surtout de nombreux auteurs[1] montrent que des Sèrères étaient présents à une certaine époque en Gambie et en Casamance, jusqu’au Fouta Djallon. A.Ngaidé : 2009 (UCAD) explique comment des Sèrères se sont retrouvés en Guinée Bissau. La conquête vers 1250 de ce qui sera l’empire du Gabou par le général Tiramakhan Traoré du Mali est contemporaine dit-il, de la longue descente vers le sud, des populations noires de la vallée du fleuve Sénégal, sous la pression des Berbères et du mouvement d’islamisation. Au nombre de ces migrants se trouvent les Sèrères qui s’éparpillent à travers les bassins et les iles du Saloum et de la vallée de la Gambie. Plusieurs d’entre eux arrivent jusqu’au Gabou et sont progressivement intégrés au royaume et se métissent aux mandingues (A.Ngaidé op cit). On sait aussi que les Diolas se trouvaient plus loin à l’est d’où ils ont été repoussés jusqu’en Basse Casamance. Leur présence antérieure à l’est est attestée par leur parenté à plaisanterie avec les Bassaris (Girard 1994). Non seulement Sèrères et Diolas étaient présents dans l`extrême Sénégambie méridionale, mais des auteurs coloniaux comme Arcin et Germain signalent « au nord-ouest du 

Fouta-Djallon, une « confédération Sérère-Diola » « dominée par les Sérères »,  dans laquelle s'étaient introduits des autochtones. Comme Ngaidé, des traditions relayées par Arcin prétendent même que c’est cette confédération qui aurait fondé le Gabou (note p 64). « La légende des Guélowar dominant le N'Gabou les fait descendre dit-il, de deux princesses réfugiées chez les Sèrères-Diolas et épousées par le chef du pays. Le pouvoir se transmet dans cette famille par les femmes ». Comme le montrent le mythe, mais aussi un auteur gambien, c’est du Gabou que des Diolas et des Sèrères auraient migré ultérieurement en direction de la Casamance et de la Gambie, jusqu`au Sine et au Saloum au Nord (Sonko-Godwin 1985 : 61). Des traditions recueillies par Noirot et Bourgeau[2] appellent « Aguenu, l’une des deux princesses chefs de la migration guelouares » (De Moraes 1998 : 157 et note 286 :179)[3] .

Diambogne est un prénom féminin en pays sèrère. Il ne semble pas que le prénom Againe y soit connu. Par contre, on trouve encore aujourd’hui les deux prénoms chez les Diolas. Au village de Diourou (Département de Bignona), une dame du nom d’Eulalie Badji surnommée A Diambogne est décédée vers 1970. Elle était originaire de Niamone qui serait un village bainounk. Une autre du nom d’Aguène Coly est toujours présente à Diourou (2017).

Comme Sira ou Siga Badiane ou Badyar l’ancêtre de Senghor, Againe et Diambogne provenaient peut-être du mont Badyar, le pays des Badyaranké qui était une des régions du Gabou (voir la carte avec l’itinéraire des guelwar en provenance du Badyar

 

[1] Pinet Laprade 1865 ; Arcin1911 ; Delafosse 1912 ; Delafosse/Soh 1913 ; Yoro Diao/ Tauxier 1937 ; D. P.  Gamble 1957 ; Trimingham 1962 p 83 ; Horton 1971 p 78 à 119 ; Levtzion1971 pp137-138 ; Quinn 1972 ;  Becker et Martin 1977 ; Thierno Diallo 1977; Gravrand/Mahécor 1983; J. Germain 1984 ; O. Kane 1986 ; M. Diouf 2001 p184 ; A.Ngaide 2009  etc.

[2] Noirot 1933 p 6 note 1 cité par J Bourgeau Notes sur la coutume des Sereres du Sine et du Saloum, Paris in Bull. Com. Et Hist Sc AOF XVI 1933 I p7. Les deux sœurs Againe et Diambogne seraient des princesses chefs de la migration guelwar.

[3] Nize Isabelle de Moraes A la découverte de la Petite cote au XVII siecle (Senegal et Gambie)  tome iii 1664 1672 et tome  IV  1672 1679  IFAN Universite Cheikh Anta Diop Dakar 1998.

AGAINE ET DIAMBOGNE Des éléments historiques du mythe des deux princesses diola et sèrère

En sèrère, le nom commun avec l’article o ndiambogne désigne une arme mystique redoutable. Le possesseur est capable de diriger un serpent contre un ennemi. Cette attaque est assimilée à un acte de sorcellerie. Mais si l’on en croit les traditions, les deux sœurs qui auraient conduit une migration en provenance du Gabou n’étaient pas de simples migrantes, mais des reines guelwars. Les niantcho du Gabou comme les guelwars des pays sèrères sont réputés pour leur valeur guerrière, mais aussi pour leur pouvoir « psychurgique [1]», c’est à dire la capacité  de faire des miracles. Ils possèdent des pouvoirs extraordinaires que les autres Mandings n’ont pas (Faal p100 ; Girard 1992). Comme la plupart des souverains du Soudan occidental, ce sont des héritiers des Pharaons. Les rois thaumaturges du Ghana (Wagadou) et du Songhaï (Gao) avaient des pouvoirs de bilocation[2] et la faculté de parcourir des grandes distances en un clin d’œil[3].La manipulation du ndiambogne était peut-être l’une de ces armes mystiques dont les femmes de pouvoir étaient détentrices. A Diambogne le surnom de l’une des femmes de Diourou avec l’article (a) précédant le surnom semble suggérer en langue diola qu’il s’agit d’un nom commun comme (o) ndiambogne en sèrère. Les locuteurs diolas pourraient confirmer le cas échéant que le (a) qui précède Againe est aussi un article. Faut-il lire a Gaine, a Guène, ou a Guenu ? Quelle en est la signification ?

Si l’on interroge les traditions des peuples voisins, on découvre que le procédé du ndiambogne existait dans les sociétés du Soudan occidental et central. Boubou Hama du Niger montre que certaines personnes comme les Zinci, pêcheurs sorko insulaires sur le Niger avaient le pouvoir d’envoyer à une très grande distance leurs serpents pour tuer leurs ennemis. Ils utilisaient un poisson transformé en serpent comme arme. Les Dogons ont aussi pour agent d’exécution, des serpents de fer qui agissent rapidement et s’en retournent (SCOA/ARSAN 1981 p 224 225) « Les mages de l’Egypte pharaonique appelaient  lion céleste le feu incorporel, agent générateur de l’électricité qu’ils savaient condenser  ou dissiper à leur gré. Ils appelaient aussi serpents, les courants électriques de l’atmosphère, magnétiques de la terre, qu’ils prétendaient diriger comme des flèches sur les hommes (E.Schuré p280). Eschyle le poète grec chante les flèches du Dieu Apollon « serpent à l’aile blanche qui s’élançaient de son arc d’or » (idem p 285). Djibril Tamsir Niane confirme que l’utilisation des animaux (abeilles, sauterelles, serpents etc.) comme moyens de protection ou d’attaque est très répandue dans la région (SCOA/ARSAN 1977 p. 40 41). Les Konyagui par exemple seraient des Bassaris. Ils auraient été surnommés konyagui, en référence à leur utilisation des abeilles guerrières.

Les pourcentages de racines communes des langues sénégalaises du nord de la Gambie montrent qu’il y a une plus grande proximité entre diola et sèrère qu’avec les autres langues.  

-Jola -Sèrère 17% ;

-Jola-Wolof 13% ;

-Jola -Pular 13%.

 

[1] Terme utilisé par E. Schuré pour désigner « la force de l’âme »

[2] La capacité d’être à plusieurs endroits à la fois

[3] Les Lébous et les Sèrères avaient aussi ces dons. Les Lébous appelaient ce vol : « saut d’homme » ou tëb u goor Voir Malick Sarr Les Lébous parlent d’eux-mêmes 1981 NEA ; et Gravrand  

AGAINE, DIAMBOGNE ET MANE: Une troisième sœur lébou ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Le Roi d'Oussouye

Région de Ziguinchor

Dans l’ouvrage intitulé Lances Mâles (Diouf 1996), l’auteur est formel : alors qu’il était étudiant à l’université de Dakar (1968-72)  il a eu entre les mains un texte inédit d’un auteur oublié qui mentionnait une troisième sœur dans la pirogue. Elle serait l’ancêtre des Lébous. Le texte indiquait que Mâne son nom, qui est également un prénom féminin sèrère est aussi le mot par lequel on s’adresse avec déférence au roi d’Oussouye en pays diola. Le texte indiquait par ailleurs, ce qui est connu : les rab, esprits ancestraux du culte lébou résident à Sangomar, la capitale des génies de toute la contrée[1].  On sait aussi que le génie tutélaire du sanctuaire  de Sangomar (Palmarin) où les soeurs se seraient séparées est Mane Diabbia Diouf une autre femme surnommée a Pangh a baal, la Souche Noire[2] La troisième sœur lébou a-t-elle été ajoutée au mythe ? Quoi qu’il en soit, on ne peut ignorer l' autre légende des trois sœurs Sanou, Mânou et Diouma qui dans certaines versions sur le Gabou seraient les mystérieuses sœurs nées de la femme trouvées par un chasseur dans une grotte et qui seraient les ancêtres des dynasties guelwars du Sine et nianthios du Gabou. Sanou et Manou ont-ils  donné les patronymes traditionnels des rois du Gabou Sané et Mané, noms mandings inconnus au Mali ? Sur les nombreuses versions et les cousinages au sud de la Gambie, voir Girard 1992.

 

[1] Adja Oulimata Diop, fille de Mame Fatou Seck 72 ans. Propos recueillis en 2011 par Chérif Faye à Thiawlène Digg Rufisque ;  Zempleni A. 1966. La dimension thérapeutique du culte des rab, ndöp, tuur et samp, rites de possession chez les Wolofs et les Lébous in Dumez R. et Ka M. (2000)

[2] Abbé Jacques Seck in Recherche et Liaison Cap des Biches 1972 Archidiocèse de Dakar p 171 172.

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