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                   Interrogations sur l’origine du couscous

 

 

 

 

 

 

Introduction

L’étymologie de couscous n’est pas connue. Il pourrait s’agir d’une onomatopée rappelant les gestes ou les mouvements de la préparation. C’est le même mot français qui désigne à la fois le couscous marocain à base de semoule de blé et la préparation culinaire négro africaine à base de mil ou de fonio. Dans les deux cas la farine est passée à la vapeur à travers les trous d’un étuvier ou couscoussier appelé hindé en sèrère. Compte tenu de la ressemblance (céréales cuites à la vapeur, arrosées de sauce liquide), la question de l’origine du couscous pourrait se poser, malgré le réflexe quasi naturel de penser que cette recette aussi a été transmise aux populations noires par les Arabes ou les Berbères. C’est l’option de l’UNESCO qui vient d’en faire un élément du patrimoine immatériel collectif du seul Maghreb (Mauritanie, Maroc, Algérie et Tunisie). Mais a priori, les sources sur les relations socioéconomiques entre les deux ensembles ne permettent pas de valider ce choix. Une chose est sûre, le couscous n’est pas d’origine arabe mais africaine.

1.Couscous : une recette arabo berbère ou nègro africaine ?

Saatj en sèrère, cere ou tyéré en wolof et laciri ou latchiri en pulaar. C'est une recette culinaire typique des pays situés au nord de la Gambie. Au Saloum (Kaolack), la variante appelée nièleng avec des grumeaux plus gros ressemble davantage au « couscous marocain ». Le plat s’accompagne d’une sauce dont la composition peut varier à volonté. On peut aussi l’arroser de lait frais. Il est servi le plus souvent le soir. Le diner constitue en effet le principal repas de la journée chez les Sèrères du Sine intérieur. Il existe également de nombreuses autres recettes de mil sous forme de friandises (moudaké : farine de mil sucrée avec pâte d’arachide grillée ; tiakré : couscous trempé dans du lait caillé sucré ; ngalax : couscous trempé dans un mélange de pâte d’arachide grillée sucrée ; gâteau de mil etc.). Certaines recettes comme les repas des armées en campagne sont perdues aujourd’hui. L’on dit cependant que certaines forêts de baobabs comme on en voit vers Bandia seraient des anciens champs de bataille ou des bivouacs. Le fruit de baobab entrait dans la préparation des repas des troupes.

                                                                     

 

 

 

 

    

            

 

Champ de mil avec des saas ou kadd (acacia albida) l’arbre des

                                     cosmogonies soudaniennes

Le couscous est mentionné au Galam ou Gajaga soninké vers 1687 par Chambonneau, sous la forme Koussou ou Kouskou (Couscous Boulgour et polenta. Transformer et consommer les céréales dans le monde. Monique Charte et F Sigande. Sous la direction de Franconi Helene Karthala 2010). Au 19e siècle, les colons français y compris Boilat et Faidherbe lui-même mangeaient du couscous (Boilat). A cette époque, les voyageurs européens le présentaient comme le plat le plus réputé. C’est assez récemment que le mil en général et le couscous en particulier ont perdu du terrain au Sénégal au profit du savoureux riz ceebu jën devenu plat national puis élément du patrimoine mondial. Ils restent cependant présents en zone rurale et dans certains foyers urbains lors de certaines célébrations comme l’Achoura. Le couscous de maïs a été introduit à côté du mil et du sorgho entre le 14e et le 19e siècle.

2. Couscous : une recette d'origine nègro africaine diffusée par les pays arabo berbères ?

Bien que de nombreux peuples revendiquent la paternité ou plutôt « la maternité » du couscous, il est fortement associé à la culture maghrébine. C’est du Maroc ou d’Algérie qu’il se serait diffusé dans le reste du monde arabe et au-delà. Mais puisqu’il existe aussi de longue date, semble-t-il, chez les populations noires au sud du Sahara, voisines de celles du Maghreb, on peut supposer que c’est une préparation de la céréale propre aux autochtones de la région soudano maghrébine, c’est-à-dire les Nègro Africains et les Berbères. Il reste à savoir lequel des deux ensembles du Grand Ouest Africain l’aurait transmis à l’autre.

 Pendant longtemps le mil a constitué la base de l’alimentation des peuples de la savane. C’est également un élément central dans les rites agraires, les cérémonies familiales etc. Il a existé une civilisation du mil. D’après le dicton, « Les personnes noires sont de la race du mil » (A. Condé 1974 Les sociétés traditionnelles mandingues CELTHO Niamey p 18). Boubou Hama a relevé à l’est chez les Acromba, « une réunion annuelle des fils du mil » (Fondation SCOA 1981p 218 /9). C’est dans cette aire culturelle que s’inscrit le couscous comme marqueur identitaire .En conséquence,rien a priori n’empêche de formuler l’hypothèse d'une origine négro africaine.

 

 

 

    

               

 

 

 

 

 

                                

 

C’est vers le 10e siècle que les auteurs arabes donnent des informations sur les habitudes alimentaires dans la région. Ibn al Fakih signale en 903 que dans le pays de Ghana, les gens se nourrissent de mil et de doliques (haricots) ; ils appellent le mil dukhn, un mot qui rappelle vaguement le dugub wolof (Cuoq p 54). En revanche, à cette époque, les auteurs notent que les Berbères ne connaissaient pas les céréales. Ils se nourrissaient de viande et de lait. Ce sont les Soudanais, c'est-à-dire les Noirs, qui non seulement leurs ont appris à consommer les céréales et le mil en particulier, mais ils en exportaient également chez leurs voisins du Nord. O. Kane a relevé que les habitants du Tekrour médiéval commercialisaient leurs surplus agricoles chez leurs voisins du Nord (Kane 1986 p238). Selon les récits d’Al Bakri, qui sont pour certains, des compilations d’auteurs antérieurs transmis jusqu’à nous en 1068, la richesse des Berbères Lamtuna, ce sont les troupeaux. Ils ne connaissent pas l’agriculture. Les tribus berbères du Sahara n’ont jamais vu ni blé, ni orge, ni aucune céréale. Ils se nourrissent de lait et de viande (Cuoq op cit). Ils importent des céréales, du mil des pays des Soudan (ibidem 107). A Awdaghost grande ville berbère dite « la Sudiste » qui fut concurrente, puis vassale du Ghana, on trouve dit-il, des élevages de bœufs et de moutons ; pour un seul mithkal, on peut acheter 10 béliers. On trouve également des jardins et des cultures maraichères dont seuls se nourrissent les princes et les gens de qualité (blé, dattes, figues, vignes, concombres etc.), ainsi que du miel importé du pays des Soudan. Le reste de la population (du Soudan) mange du mil (ibidem p83). On peut supposer qu’à l’instar des éléveurs berbères, les pasteurs peuls aussi échangeaient avec les Noirs sédentaires des produits d’élevage contre ceux de l’agriculture notamment le mil. Quand on arrive dans un bourg, dit Ibn Batuta le grand touriste voyageur marocain, les femmes noires viennent vendre du mil, du petit lait, des poulets, de la farine de lotus (jujubier), du riz et du fonio avec quoi on fait du couscous et de la bouillie de froment ou orge aromatisés confondus par certains auteurs avec le niébé. Il y a aussi de la farine de dolique (haricot). Cependant, souligne-t-il, manger du riz est nuisible au Blanc. Le fonio est préférable (Cuoq p295). Le même Ibn Batuta fut l’un des hôtes à diner chez un administrateur local à Iwalatan en pays noir. Au menu, du gros mil concassé, mélangé avec du miel et du petit lait. Le repas était servi dans une moitié de courge (calebasse) qui avait la forme d’une grande écuelle. Au Soudan à cette époque comme naguère encore en pays sèrère et wolof, les repas étaient servis dans des calebasses (lekket : littéralement « mangeoire »). « Les courges au pays des Soudan sont énormes : ils les divisent en deux parties et en font ainsi deux écuelles. Ils gravent dessus de beaux dessins » (Ibn Batuta Voyage dans le Bilad as Sudan 1352  1353 in Cuoq p295 à 298). La place de la calebasse dans les témoignages laisse penser que jusqu’à une certaine époque qu’on ne peut dater, les ustensiles en bois n’étaient peut-être pas encore en usage au nord du fleuve Sénégal. Est-ce à dire que les Laobés, le sous-groupe peul des boisseliers, n’étaient pas encore présents ?

Quoi qu’il en soit, ce sont les Nègro Africains qui ont appris aux Berbères à consommer des céréales et du mil en particulier. Il est en effet peu probable que les caravanes de commerçants industrieux en perpétuel mouvement ou encore les soldats des armées arabes ou berbères venus en jihadistes conquérants aient amené des femmes et des cuisinières en nombre important. Comme les colons français, ils ont dû s’accoutumer à la nourriture locale et l’adopter, y compris le couscous qui serait ainsi devenu berbère puis arabe. Les cuisinières noires sont très réputées. C’est peut-être d’elles que les Berbères tiennent la recette du couscous. D’après Bakri, on trouve au marché d’excellentes cuisinières parmi les Noires ; une seule se paye 100 mithkal et davantage (Al Bakri in Cuoq p 84). Quand quelqu’un de chez eux part en voyage, il se fait suivre par ses esclaves hommes et femmes qui portent sa literie avec ses ustensiles fabriqués avec les courges pour manger et boire (Ibn Batuta in Cuoq ibidem298).

 

                                                                             

                 

                                

Ces témoignages des voyageurs arabes confirment les nombreux traits culturels communs aux Noirs soudano sahéliens et aux Berbères saharo maghrébins qui ont longtemps partagé un même espace géographique et humain. Il est évident que les emprunts et les influences furent nombreux dans les deux sens  (matriarcat, place de la femme, puissantes reines et prêtresses, magies et rituels, religions etc.) Sauf documentation abondante et analyse pointue il est difficile pour certains traits culturels, de savoir dans quel sens s’est fait l’emprunt. Mais dans le cas du couscous, il est possible d’avancer à titre d’hypothèse que c’est une recette à base de mil qui se serait diffusée dans le sens sud nord avant d’être adaptée au blé et de gagner le reste du monde arabe et au-delà. La diffusion se serait  effectuée dans le cadre de ce que Boubou Hama considérait comme une sorte de marché commun économique et culturel (Ecrits sur le Soudan CELTHO Niamey1978). Les Arabes arrivés plus tard dans la région ont naturellement intégré ce marché commun. Ils ont reçu et apporté beaucoup de traits culturels, linguistiques et religieux aux Africains et pas seulement aux musulmans.

Ainsi donc, les témoignages semblent concorder pour dire que bien avant l’arrivée des Arabes, ce sont les Noirs qui auraient appris aux Berbères à consommer des céréales notamment le mil, mais on ne sait pas sous quelles formes. Des sources sur la préhistoire dans ce qui s’appelle le désert du Djouf au centre est de la Mauritanie mentionnent à côté de la poterie cassée, des haches en pierre taillée, des débris d’ossements, des pointes de flèches, un crochet en fer. Elles signalent surtout des meules dormantes, des pilons et des broyeurs aux dimensions insolites d’un fini parfait et des beaux objets en granit, notamment un moulin à main trop lourd que l’explorateur n’a pu emporter. Les céréales étaient probablement réduites en farine (Etude sur le Djouf par le Lieutenant Sevenet de l’Infanterie coloniale (28 pages sans date).Les travaux de Dr A. J. Lucas notamment sur les traditions mauritaniennes montrent que toute cette région de l’Afrique sahélienne était primitivement occupée par des Noirs jusqu’à l’Atlas, bien avant l’arrivée des Blancs (berbères) venus les uns par la mer, les autres par le nord de l’Afrique (Considérations sur l’ethnique maures et en particulier sur une race ancienne, les Bafours 1901).

 

Conclusion

In fine, il semble bien que l’origine du couscous soit négro africaine, car pour faire du couscous il faut des céréales. Or ce sont les sources arabes   elles mêmes qui nous apprennent que ce sont les Noirs qui ont appris aux Berbères à consommer des céréales, qu'ils exportaient aussi chez eux. Les recherches doivent cependant être approfondies pour valider l’hypothèse.


 

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